Dernier extrait de Civilisation perdue. Situation : Raphaël remonte dans ses souvenirs. Sa vie suit la même dégradation que la société dans son ensemble. Il est fonctionnaire d'état, jusqu'au jour où l'état lui-même en faillite, le licencie. Mais avant de connaître ce sort, il profite de la crise en s'attirant une jeune étudiante complètement désoeuvrée et pauvre qui n'aurait probablement jamais eu un regard pour lui en temps normal : ce qu'elle cherche chez Raphaël, c'est la sécurité de son statut. Pour Raphaël, c'est une façon d'accéder à un sentiment fort, exaltant : celui de jouir d'une femme par son seul pouvoir. Mais pour elle (Lila), il quitte Fanny, une femme sérieuse et posée mais qui n'excite pas autant sa libido que Lila. Voici les réflexions qu'il se fait au moment de cette séparation :
"(Fanny parle)- Oh, moi je vois très bien ce qui se passe ! Tu t'es fait piéger comme des tas de mecs de nos jours ! Une jeune fille dans le besoin qui se dégote un type à emploi stable, c'est ultra courant maintenant ! Mais ce qui fait peine à voir, c'est que t'as égaré ton sens critique dans son cul ! Tu t'es fait joliment avoir. Mais au point où j'en suis Raphaël, je n'aurai pas la force de te prouver que j'ai raison. Dommage Raphaël...Juste dommage.
A l'entendre, elle semblait plus navrée pour moi que pour elle. D'évidence, j'étais devenu un sujet idéal pour donner au mot "pathétique" un contour fixe. Sa voix semblait débiter mécaniquement ses regrets dont elle avait dû travailler la modulation pour en obtenir l'effet d'écholalie, ce retentissement venant mourir dans ma conscience, la triste déploration de l'inaccompli...dommage Raphaël, tu t'arrêtes toujours au milieu du chemin...la voix de Fanny s'injecte maintenant dans celle de mon frère plus lointaine mais si présente, presque identique, comme si à travers ce gâchis je cherchais à retrouver des fragments d'enfance reflués et pourtant revenus au gré d'analogies improbables...tu n'es pas un vrai homme...tu ne sais pas te battre...des idées, des livres, tu ne fais que ressasser des mots...tu crains même de te reproduire...on verra si tu es toujours homme de principe quand tu seras dans la merde...car tu seras dans la merde !
Adulte maintenant, j'échafaude ma réponse : oui, je suis un trouillard, j'ai trente cinq ans et je vis dans l'illusion, je crois que je vis dans un roman et que je peux par mimétisme ridicule vivre en homme libre, comme certains de mes modèles littéraires, ces Débauchés raffinés de la nuit des temps. Et je ne suis qu'un petit binoclard, un prof sur un siège éjectable, un homme qui découvre sa libido à trente-cinq ans, un homme qui ne s'est jusque là attiré que des femmes à marier alors que j'aime le soufre sans jamais l'avoir senti. La vie est trop précaire Fanny : demain notre civilisation s'écroulera et des gens comme toi et moi ne seront plus rien : tes gosses, ton divorce, tes amours appartiendront au mythe d'un temps où l'on aspirait au bonheur dans la vie privée. Suprême luxe qu'ont pu s'accorder les classes moyennes après 68. Maintenant ma chère, notre bonne éducation nous nuit. Avec Lila, je baise la société toute entière, ma chère Fanny et je baise le prof à la con piétiné par des tas de Kevin ou Cindy ; en entrant dans la chatte de Lila, j'outrage les bonnes moeurs où il faudrait baiser dans un "accord harmonieux du corps et de l'esprit". Mon cul, ouais ! Dans Lila, je conchie qui je suis pour toute la société et en choeur avec elle. Je mets la civilisation au rebut : l'imbécile heureux, c'est moi.
Voilà ce qui me passait par la tête en entendant "dommage..."
"(Fanny parle)- Oh, moi je vois très bien ce qui se passe ! Tu t'es fait piéger comme des tas de mecs de nos jours ! Une jeune fille dans le besoin qui se dégote un type à emploi stable, c'est ultra courant maintenant ! Mais ce qui fait peine à voir, c'est que t'as égaré ton sens critique dans son cul ! Tu t'es fait joliment avoir. Mais au point où j'en suis Raphaël, je n'aurai pas la force de te prouver que j'ai raison. Dommage Raphaël...Juste dommage.
A l'entendre, elle semblait plus navrée pour moi que pour elle. D'évidence, j'étais devenu un sujet idéal pour donner au mot "pathétique" un contour fixe. Sa voix semblait débiter mécaniquement ses regrets dont elle avait dû travailler la modulation pour en obtenir l'effet d'écholalie, ce retentissement venant mourir dans ma conscience, la triste déploration de l'inaccompli...dommage Raphaël, tu t'arrêtes toujours au milieu du chemin...la voix de Fanny s'injecte maintenant dans celle de mon frère plus lointaine mais si présente, presque identique, comme si à travers ce gâchis je cherchais à retrouver des fragments d'enfance reflués et pourtant revenus au gré d'analogies improbables...tu n'es pas un vrai homme...tu ne sais pas te battre...des idées, des livres, tu ne fais que ressasser des mots...tu crains même de te reproduire...on verra si tu es toujours homme de principe quand tu seras dans la merde...car tu seras dans la merde !
Adulte maintenant, j'échafaude ma réponse : oui, je suis un trouillard, j'ai trente cinq ans et je vis dans l'illusion, je crois que je vis dans un roman et que je peux par mimétisme ridicule vivre en homme libre, comme certains de mes modèles littéraires, ces Débauchés raffinés de la nuit des temps. Et je ne suis qu'un petit binoclard, un prof sur un siège éjectable, un homme qui découvre sa libido à trente-cinq ans, un homme qui ne s'est jusque là attiré que des femmes à marier alors que j'aime le soufre sans jamais l'avoir senti. La vie est trop précaire Fanny : demain notre civilisation s'écroulera et des gens comme toi et moi ne seront plus rien : tes gosses, ton divorce, tes amours appartiendront au mythe d'un temps où l'on aspirait au bonheur dans la vie privée. Suprême luxe qu'ont pu s'accorder les classes moyennes après 68. Maintenant ma chère, notre bonne éducation nous nuit. Avec Lila, je baise la société toute entière, ma chère Fanny et je baise le prof à la con piétiné par des tas de Kevin ou Cindy ; en entrant dans la chatte de Lila, j'outrage les bonnes moeurs où il faudrait baiser dans un "accord harmonieux du corps et de l'esprit". Mon cul, ouais ! Dans Lila, je conchie qui je suis pour toute la société et en choeur avec elle. Je mets la civilisation au rebut : l'imbécile heureux, c'est moi.
Voilà ce qui me passait par la tête en entendant "dommage..."
4 commentaires:
Envie de lire Civilisation perdue après lecture de cet extrait qui permet de plonger dans l'intériorité du personnage.
Merci anonyme. Pourrais-je vous demander si vous n'avez pas eu de problème avec le paiement sécurisé ? La démarche a-t-elle été facile sur lulu.com ? Avez-vous choisi le livre papier ou le téléchargement ? Et puis bien sûr,une fois que vous l'aurez lu, j'aimerais bien savoir ce que vous en avez pensé...si toutes ces questions ne vous pèsent pas trop. Merci,
Reine.
eh bien désolé, mais j'ai l'impression que mon fils de 16 ans écrit bien mieux, sans tout ce verbiage prétentieux: "Sa voix semblait débiter mécaniquement ses regrets dont elle avait dû travailler la modulation pour en obtenir l'effet d'écholalie, ce retentissement venant mourir dans ma conscience, la triste déploration de l'inaccompli". Waouh! ça c'est de la littérature!
A "Anonyme"
Vous n'aimez pas ; ce n'est pas très grave et c'est même tout à fait normal de rencontrer l'irritation de certains lecteurs. Aucun problème. Merci quand même d'avoir pris le temps de lire l'extrait (et peut-être les autres, je ne sais pas). Au fait,vous pouvez très bien vous identifier sans craindre quoique ce soit de moi...ce n'est jamais très confortable de répondre à "anonyme". Dernière chose : je ne sais pas si c'est vous qui m'avez demandé si vraiment je m'appelais Reine ; sachez que ce n'est pas un pseudo... on n'est pas toujours responsable des noms que l'on reçoit mais j'espère que celui-ci ne me porte pas à une prétention excessive quoique vous en jugiez autrement.
Bien à vous
Reine.
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