mercredi 8 octobre 2008

Mère morte-épisode 6

C'était son frère, Yves. D'emblée, il reconnut dans son inflexion de voix la gravité propre aux instants dramatiques de l'existence. Il comprit instantanément qu'il s'agissait de leur mère, qui trois mois plus tôt avait dû subir une opération à coeur ouvert pour une valve qui ne renvoyait plus le sang. Les sanglots dans la bouche laissaient mal sortir les mots qui s'enroulaient dans une annonce confuse, désordonnée. Il appelait depuis l'hôpital, ils n'avaient rien pu faire malgré l'acharnement à la réanimer ; c'était fini, tout était fini. Et le monde avec lui : Xavier soudainement plongé dans l'effroi d'une mort inconcevable, peinait à tenir le combiné. Sans s'écrouler pourtant, il demeurait dans l'hébétude d'une situation qui ne rencontrait pas de langage. Sa mère était un fondement de sa vie ; stable, tranquille, sans heurts et présente, discrètement présente, elle avait été l'aiguillon de sa force, la consolation de ses faiblesses. Et maintenant, sans elle, il perdait le lien le plus essentiel à la matrice de la vie, de sa vie.
Il gagna l'hôpital au plus vite. Recroquevillée dans un lit trop grand pour elle, morte sans avoir eu le temps de faire ses adieux, elle semblait dans cet espace sans âme, au milieu des appareillages que les infirmières débranchaient désormais dans un silence contrit mais professionnel, une femme mort-né, démunie comme au premier jour de la vie. Xavier éclata en sanglots.
Les jours qui suivirent furent pénibles, surtout la veillée du corps qui avait duré trois jours. Dans son for intérieur, il eût préféré un enterrement rapide pour que la torture de la voir physiquement dans cet état figé, sans expression, sans parole fût abrégée. Alors qu'il était tenté de lui parler et d'attendre sa réponse, il se maintenait illusoirement dans l'espoir qu'elle pouvait revivre. La douleur ne s'en fit que plus grande.
Un mois durant, il ne remit pas les pieds au lycée ; les copies lui semblaient un tracas bien léger à côté de l'épaisseur lourde de la mort. Ce fut presque avec soulagement qu'il regagna le monde des vivants : la turbulence des lycéens ravivait son goût presque enfoui pour la vie, la jeunesse et son travail. Il s'attela avec énergie à réinvestir son métier auquel il trouva au moins la vertu de le sortir de son atonie.

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