mardi 9 décembre 2008

Petite promo

Brièvement, quelques mots pour annoncer que pour mon second tirage de Civilisation perdue, j'ai choisi the Book edition plutôt que Lulu afin de privilégier une entreprise française. Merci au blogueur qui m'a donné le tuyau. Je devrais recevoir le paquet en fin de semaine ; ça me donnera l'occasion de faire un comparatif entre les deux maisons.
Du côté des maisons d'édition, toujours pas de réponse alors que je m'apprête à enregistrer le 160ème achat pour ce roman et que je vais, dès le 200 ème écoulé, m'attaquer à la publication de mes autres livres. Pour information, six maisons d'édition détiennent Civilisation perdue depuis deux mois dans leurs locaux ; pas de réponse encore. Avec mes romans précédents, j'avais dû attendre trois mois pour recevoir une lettre-type et la réclamation d'un chèque d'un montant variable (de 3 euros à 6 euros pour les maisons d'édition un peu gourmandes) pour récupérer mon livre. Je pense donc que l'année 2009 s'ouvrira logiquement sur un afflux de lettres-type dans la boîte aux lettres.
Seules les Editions du Rocher ont été parfaitement claires en annonçant qu'elles n'acceptaient plus les manuscrits. Et les autres ? Pour elles, je ferai une petite anthologie des meilleurs tournures, des formules les plus alambiquées, elliptiques, sybillines de leurs lettres afin que le pathétique puisse trouver ici la possibilité d'une transmutation heureuse : La compilation de l'insignifiance (ou comment les maisons d'édition portant la littérature aux nues s'évertuent à mépriser ceux qui l'incarnent en leur fouillant la rétine de leurs platitudes) ; ou bien autre titre envisageable : L'artiste face au bureaucrate, vrais ennemis publics (cette fois).

samedi 29 novembre 2008

Rupture et continuité

Mon activité de blogueuse se fait désormais par intermittence. Des raisons profondes me font rompre avec la quotidienneté intrinsèque de ce support. D'abord, le passage d'un temps de création immédiate à un temps de création réfléchie, dilatée. Je rassemble les vues dispersées propres à mon sujet de nouveau roman ; la concentration liée à ce type de travail sonde les strates d'une conscience qui se modèle à une vision qui s'obscurcit et s'éclaire devant la mort : je ne veux pas démonter ou dénoncer la noirceur d'une civilisation qui parque les vieux en instance de mourir. Non, la chose est complexe. Les témoignages reçus sur ma boîte mail aussi bien que mes approches l'attestent. Rien n'est simple comme de mourir après avoir été dépossédé de son intégrité physique et intellectuelle pour soi et pour les proches ; les progrès de la médecine ne peuvent pas répondre à notre place à la question douloureuse de savoir si la longévité est en soi une chance. Il me semble que la philosophie et la littérature doivent se pencher avec précision sur de tels changements en s'efforçant de ne rien caricaturer. N'est-ce pas un peu le rôle des écrivains que de donner à voir, à comprendre, à sentir ? Ah, moi et ma conception traditionnelle de l'ouvrage littéraire...
La deuxième activité qui me fait déserter le blog est la vente de mon livre Civilisation perdue. Avec ce livre, je me suis lancée, mais bien volontiers, dans une sorte d'éducation populaire à la littérature ; j'ai rencontré des personnes de milieux très divers (les cafés où les chasseurs se réunissent par exemple !) pour leur parler de mon livre et pas seulement ; comme le sujet porte sur un cataclysme économique mondial, les débats ont eu bon train sur le climat économique actuel. Résultat : des efforts et beaucoup de plaisir. Cent livres écoulés, cent nouveaux livres tirés. D'ici Noël, j'espère les avoir vendus. Au niveau financier, pas de perte d'argent et plutôt du gain... et surtout un début salutaire de reconnaissance auprès de personnes qui vivent du livre (libraires, bibliothécaires). Souvent on me demande comment il se fait que les éditeurs ne l'aient pas publié et je réponds : ce n'est pas mon problème.
J'ai bien conscience qu'il aurait été préférable pour ma légitimité d'avoir été soutenue par un éditeur ; mais ma légitimité d'écrivain se construit pour l'instant d'une autre manière.
Je constate donc qu'il manque, comme l'a suggéré Dahlia dans un de ses commentaires, une structure intermédiaire entre l'auto-édition (qui est intéressante si elle est menée avec foi et conviction) et la maison d'édition parisienne qui devient difficilement pénétrable. Cette troisième division qui intéresse beaucoup un autre blogueur, Sébastien pour ne pas le citer, m'interpelle. C'est la troisième raison qui me pousse à réfléchir hors de ce blog en ce moment ; j'aimerais bien innover dans ce domaine, mais je dois, pour éviter le saut dans le vide, m'interroger sérieusement sur la faisabilité d'un tel projet.
A ce titre, toute suggestion sera la bien venue.
En attendant, je ferai le plus régulièrement possible état de mes avancées dans tous ces domaines...mais hélas sans la régularité quasi quotidienne.

jeudi 20 novembre 2008

Nouveau roman ; appel à témoignages.

En ce moment, je réfléchis à l'écriture d'un nouveau roman. Ma ligne est toujours la même : observer les effets des mutations de la société pour en traduire les conséquences sur les trajectoires individuelles. Cette projection est quasiment "sociologique" même si je ne prétends aucunement à l'exhaustivité. Cet effort exige malgré tout une ouverture sur les sciences humaines, les sciences, et toutes les formes de connaissances qui sont désormais à notre portée ; finalement, l'enjeu d'un roman contemporain serait de charrier un maximum de "données" réelles, scientifiques pour les incarner dans des situations et des personnages qui ouvrent le champ à des questions importantes comme : comment la crise va-t-elle bouleverser les fondements de notre civilisation ? (c'était l'objet de Civilisation perdue) ou bien comment le virtuel nous offre-t-il la sensation de développer une existence parallèle ? (pour ceux qui ont lu sur ce blog Une mort dans l'âme). Bientôt, je mettrai en auto-publication d'autres romans et nouvelles qui s'efforcent d'apporter un regard, une réflexion sur d'autres thèmes qui me semblent emblématiques des questions nouvelles qui affluent.
Pour l'heure, j'aimerais faire part de mon nouveau projet d'écriture : il m'a paru fondamental de ne pas passer à côté d'un des grands changements de notre société, à savoir le "grand âge", le fait de finir sa vie en maison de retraite, de n'avoir plus comme perspective que de cotoyer des vieux comme soi et de mourir en ayant atteint un état de délabrement (le plus souvent) assez intolérable.
Ce roman, je veux le nourrir de témoignages réels ; c'est pourquoi j'irai enquêter auprès de personnes vivant en maison de retraite. Mais dès aujourd'hui, si certaines personnes souhaitent me faire part de leur expérience (personnelle ou de proches), qu'elles n'hésitent pas à m'écrire sur ce blog ou à mon adresse mail (rbale4@yahoo.fr). Merci.

samedi 15 novembre 2008

La colère monte après l'émission de Picouly.

Hier soir, l'émission de Daniel Picouly m'a profondément agacée.Plus le temps passe, plus cette émission se réduit à relayer des auteurs déjà bien en place dans le réseau de publication actuel : Marek Halter, si gentil, si consensuel affirmant qu'il faut "savoir d'où l'on vient pour savoir où l'on va", l'éditrice de Soeur Emmanuelle chargée de promouvoir sa biographie (où est la littérature ici ?), Jean-Marc Roberts dont le livre n'a pas l'air inintéressant mais qui déjà éditeur se voit de surcroît publié chez Flammarion...Où est l'audace, où est passé l'enjeu de la littérature contemporaine ?
Mais le pire arrive enfin avec l'interview de Bernard Werber, le premier de la classe avec un gentil discours sur l'écologie qui selon lui n'est "que de bon sens". Oh la la, c'est que bientôt on va avoir peur ! La pensée à force d'être si subversive va nous projeter face à la gueule du monstre ! S'en remettra-t-on ?
Personnellement, je ne m'en remets pas. Surtout quand Daniel Picouly finit par dire "c'est drôle que les écrivains n'aient pas eu la prescience de la crise et qu'ils ne l'aient pas exploité comme un bon sujet de roman". La phrase me fait exploser : ne suis-je pas écrivain ? Mon roman Civilisation perdue ne traite-t-il pas de ce sujet ?
Voici ma réponse : Monsieur Picouly, si vous n'invitez que des Werber et des gentils petits écrivains très convenus qui n'ont de mérite que le nombre de livres vendus, faudra-t-il encore vous étonner de voir la littérature frôler le degré zéro de la pensée et de l'intuition ?
Tristesse ! Tristesse...Le manque de curiosité, le manque d'audace, l'absence d'ouverture, d'innovation font de ce pays le pays le plus endormi du monde occidental. Les chercheurs fatigués décampent dans les pays anglo-saxons, les minorités "ethniques" se sentent mieux en Angleterre ou en Espagne, les artistes-peintres ne sont pas reconnus dans leur propre pays et j'en passe. On dégoute même les plus persévérants.
Alors Monsieur Picouly, si un jour vous avez la curiosité de passer par là, je vous expliquerai que tout n'est pas foutu, à condition que vous vouliez l'entendre. Et peut-être, qui sait, même la télé un jour ne se contentera pas de faire son petit show marketing. Mais oserez-vous ?

mercredi 12 novembre 2008

La non existence des éditeurs.

Qu'un jour un cinglant démenti empourpre ma face de la honte d'avoir pensé n'importe quoi et ne m'être pas abstenue de l'avoir écrit ; mais je compte sur l'indifférence généralisée pour oublier sitôt dénoncée la bêtise sans nom des maisons d'édition.
Me croirait-on si j'affirmais que mon roman non seulement se vend très bien (près de soixante en une semaine par ma seule action) mais qu'il plait, qu'il intéresse, qu'il excite des débats, des discussions...? Y verra-t-on de la forfanterie ? Je me suis remboursée et maintenant, l'argent qui rentre est pour moi...en fait pour réinvestir dans un autre tirage. Car je n'ai pas encore fait les deux séances "lecture-dédicace" prévues et apparemment, il y aura du monde.
Où est la réactivité des maisons d'édition ? Qu'est-ce qu'elles attendent pour sortir de leur coquille, venir vers les auteurs qui s'expriment partout sur la toile via les blogs, les mises en lignes ...? Non, elles préfèrent leur molle léthargie en entretenant le mensonge du "service des manuscrits". Elles n'envisagent aucune adaptation aux différentes formes que l'écriture prend aujourd'hui. Léo Scheer a bien affirmé qu'il fera évoluer le concept de m@nuscrits, ce qui est louable ; mais s'il le fait (comme il le dit), il sera bien le seul !
Alors voilà, je me confectionne une charte à mon usage et qui veut l'applique:
1) Je ne contacterai plus d'éditeur sauf si celui-ci vient à moi.
2) Je lirai désormais essentiellement les auteurs non édités dont les textes sont disponibles sur la toile et j'en ferai état une fois par semaine dans une rubrique (bien que je ne sois pas critique)
3) Je mettrai tous mes textes "achevés" sous forme publiée sans attendre stupidement le réveil lent des ours hibernants de l'édition.
4) Quand j'achèterai un livre, je ne prendrai pas de best-seller, mais celui dont l'auteur est auto-publié ou bien qui parait dans une toute petite maison d'édition ; et si j'aime, j'en fais grand tapage (autant que je puis).
5) Je ne parle plus des maisons d'édition : elles n'existent pas tant que je n'existe pas pour elle(s). Ni critique, ni éloge : indifférence.
La littérature ne saurait se réduire à ces Bernard Werber, ces Nothomb, ces Angot, ces Beigbeder, bref ces produits marketting qui envahissent le marché ; la littérature en France finit par se réduire à ces références pourtant les plus discutables. Où est ici l'effort pour délivrer une vision du monde contemporain ? Ne se passe-t-il donc rien autour de nous ? N'y-at-il d'urgence qu'à parler d'une amourette avec un chanteur de rap ? Je rêve, j'hallucine devant la misère intellectuelle dont les maisons d'édition se rendent responsables en abaissant de plus en plus leurs exigences et en -comble de l'ironie- écoeurant les plus talentueux. En France pour obtenir une reconnaissance, il faut être vieux ou mort ! Des couille molles, de l'autosatisfaction imbécile, des prétentieux qui bavent de mépris pour les écrivains qui cherchent logiquement à être édités -mais quand ils sont morts ah ça... ils les rendent leurs hommages ! Peuple bêlitre et indigent que les éditeurs ! Vieille aristocratie dégénérée ! Rejetons décadents d'une image décomposée de la culture française (Monsieur...!)
J'abolis votre existence : je vous décapite d'un trait de mots. Vos têtes dans un panier n'enlèveront rien à la pensée française qui se porte fort mal du fait de votre inertie coupable.

vendredi 7 novembre 2008

Y'a-t-il encore des lecteurs en France ? Oui, il faut aller les chercher .

La culture n'est pas morte en France. Elle se départit simplement du quotidien de tas de gens.
Depuis que j'ai reçu ma livraison de Civilisation perdue, je vais un peu partout parler de mon livre : l'esthéticienne en a pris un exemplaire m'avouant que ça faisait une éternité qu'elle n'avait pas ouvert un livre, le boulanger idem : depuis l'école, il n'a pas ressenti l'envie de lire. Chaque jour passant, on m'interpelle dans la petite ville : "c'est donc vrai que t'as écrit un bouquin ?". Et on m'en achète un.
Une copine infirmière qui s'extasie devant le Da Vinci Code ou le dernier Amélie Nothomb s'est réjouie en lisant mon livre. Par amitié ? Peut-être. Toujours est-il que "ça lui a donné à penser". Elle en a parlé à ses collègues qui ont passé commande.
Que se passe-t-il ? Pourquoi toute ces personnes ne lisent-elles au mieux que les best-sellers ou au pire rien du tout ? Dans un pays où l'éducation est gratuite et qui s'enorgueillit de maintenir la culture à un bon niveau, cette expérience me laisse perplexe.
Tout comme les partis politiques qui ont déserté pendant un long moment "le terrain", la littérature soit ne s'est pas assez ouverte sur le monde en se maintenant de toute sa hauteur à distance, soit s'est complètement fondue dans la tendance actuelle du consumérisme facile. C'est une hypothèse qui me fait penser que l'exigence en art ne doit surtout pas signifier "propos abscons, amphigourique" ou bien, à l'inverse se faire synonyme d'une certaine culture moderne faite de rien, de vent, de cette pauvreté intellectuelle qui la rend l'équivalent d'une mauvaise émission de télé (assortie d'une ou deux remarques spirituelles pour faire illusion).
Je me fais rire depuis que je fais ma V.R.P. Mais cette démarche ne me semble pas totalement absurde : souhaite-t-on que les lecteurs se fassent de plus en plus distants de "la chose littéraire" ? Ne doit-on pas aller vers eux ? Cette idée de "proximité" qui peut sembler dévoyée est pourtant réelle. Par exemple, la Provence est un quotidien qui marche fort dans ma région ; de même, les écrivains sans pour autant proposer de la littérature régionale, devraient peut-être se rapprocher physiquement des lecteurs. En tout cas, c'est comme ça que le perçois.

mardi 4 novembre 2008

Troisième extrait de Civilisation perdue

Dernier extrait de Civilisation perdue. Situation : Raphaël remonte dans ses souvenirs. Sa vie suit la même dégradation que la société dans son ensemble. Il est fonctionnaire d'état, jusqu'au jour où l'état lui-même en faillite, le licencie. Mais avant de connaître ce sort, il profite de la crise en s'attirant une jeune étudiante complètement désoeuvrée et pauvre qui n'aurait probablement jamais eu un regard pour lui en temps normal : ce qu'elle cherche chez Raphaël, c'est la sécurité de son statut. Pour Raphaël, c'est une façon d'accéder à un sentiment fort, exaltant : celui de jouir d'une femme par son seul pouvoir. Mais pour elle (Lila), il quitte Fanny, une femme sérieuse et posée mais qui n'excite pas autant sa libido que Lila. Voici les réflexions qu'il se fait au moment de cette séparation :
"(Fanny parle)- Oh, moi je vois très bien ce qui se passe ! Tu t'es fait piéger comme des tas de mecs de nos jours ! Une jeune fille dans le besoin qui se dégote un type à emploi stable, c'est ultra courant maintenant ! Mais ce qui fait peine à voir, c'est que t'as égaré ton sens critique dans son cul ! Tu t'es fait joliment avoir. Mais au point où j'en suis Raphaël, je n'aurai pas la force de te prouver que j'ai raison. Dommage Raphaël...Juste dommage.
A l'entendre, elle semblait plus navrée pour moi que pour elle. D'évidence, j'étais devenu un sujet idéal pour donner au mot "pathétique" un contour fixe. Sa voix semblait débiter mécaniquement ses regrets dont elle avait dû travailler la modulation pour en obtenir l'effet d'écholalie, ce retentissement venant mourir dans ma conscience, la triste déploration de l'inaccompli...dommage Raphaël, tu t'arrêtes toujours au milieu du chemin...la voix de Fanny s'injecte maintenant dans celle de mon frère plus lointaine mais si présente, presque identique, comme si à travers ce gâchis je cherchais à retrouver des fragments d'enfance reflués et pourtant revenus au gré d'analogies improbables...tu n'es pas un vrai homme...tu ne sais pas te battre...des idées, des livres, tu ne fais que ressasser des mots...tu crains même de te reproduire...on verra si tu es toujours homme de principe quand tu seras dans la merde...car tu seras dans la merde !
Adulte maintenant, j'échafaude ma réponse : oui, je suis un trouillard, j'ai trente cinq ans et je vis dans l'illusion, je crois que je vis dans un roman et que je peux par mimétisme ridicule vivre en homme libre, comme certains de mes modèles littéraires, ces Débauchés raffinés de la nuit des temps. Et je ne suis qu'un petit binoclard, un prof sur un siège éjectable, un homme qui découvre sa libido à trente-cinq ans, un homme qui ne s'est jusque là attiré que des femmes à marier alors que j'aime le soufre sans jamais l'avoir senti. La vie est trop précaire Fanny : demain notre civilisation s'écroulera et des gens comme toi et moi ne seront plus rien : tes gosses, ton divorce, tes amours appartiendront au mythe d'un temps où l'on aspirait au bonheur dans la vie privée. Suprême luxe qu'ont pu s'accorder les classes moyennes après 68. Maintenant ma chère, notre bonne éducation nous nuit. Avec Lila, je baise la société toute entière, ma chère Fanny et je baise le prof à la con piétiné par des tas de Kevin ou Cindy ; en entrant dans la chatte de Lila, j'outrage les bonnes moeurs où il faudrait baiser dans un "accord harmonieux du corps et de l'esprit". Mon cul, ouais ! Dans Lila, je conchie qui je suis pour toute la société et en choeur avec elle. Je mets la civilisation au rebut : l'imbécile heureux, c'est moi.
Voilà ce qui me passait par la tête en entendant "dommage..."

lundi 3 novembre 2008

Deuxième extrait-suite de Civilisation perdue

Dans un précédent billet, j'ai présenté le début du roman. En voici la suite :
"Je m'appelle Raphaël Soros. Je suis né en 1980, période qui ne connaissait pas encore l'entier désespoir qui est le nôtre maintenant, nous autres hommes vivant en 2017. A trente-sept ans, je suis presque fou, je pense. La folie, dans certaines circonstances est un signe de santé mentale ; il y a des paradoxes qui ne tiennent pas la route mais dont a éperdument besoin. C'en est un parmi d'autres quand l'absurde pénètre un peu trop loin dans la chair du vivant.
Après la grande débâcle de 2015, j'ai dû fuir la France. Moi qui n'avais pas un goût trop prononcé pour l'aventure, j'ai été servi ! Pourchassé au titre de "délinquant écologique" terrorisé par une de ces mafias qui pullulent dans notre pays, évincé de mon travail, je me suis retrouvé par un de ces hasards qui vous font douter de la matérialité de la vie dans une île du Pacifique que feu mon frère a acquise dans sa grande prévoyance avant de quitter ce monde. Non ce n'est pas un thriller, ni une réplique de Robinson, ni un songe duquel on ne se réveille pas tout à fait ; c'est mon histoire et à travers elle, celle des hommes de mon époque.
D'abord, il y a eu le gigantesque krach boursier de septembre 2015 ; les économies du monde occidental se portaient déjà mal et il était difficile d'imaginer qu'elles allaient tomber plus bas. C'était tout à fait présomptueux de le croire et nous fûmes tous démentis par surprise comme toujours. Les états, cette fois n'avaient plus les moyens de colmater les brèches par où s'échappaient les capitaux ; il fallait dorénavant se débrouiller tout seul avec les banques en crise, les services publics qui fermaient tour à tour, le pétrole déclaré "denrée rare" et l'eau aussi. "La fin de l'Etat providence", "le chacun pour soi", "Une société enfin libéralisée", "La faillite de la France", "le monde en loques" furent en substance les gros titres des journaux qu'on pouvait lire dans cette période de turbulences aussi bien dans notre pays que dans le monde entier. (...)"

samedi 1 novembre 2008

De la souscription

Pour mon dernier roman, j'ai opté, faute de mieux, pour une publication chez Lulu.com. J'ai commandé cent exemplaires à partir du principe de la souscription. En détail, voici comment j'ai procédé :
J'ai achevé mon roman ; j'en ai fait un synopsis clair. Ensuite j'ai rédigé un bulletin de souscription où apparaissent :
le titre de l'oeuvre, le synopsis, le prix et la case à cocher : "voulez vous procurer ce livre ?"
Réponse attendue sous quinzaine par courrier, mail, ou téléphone (s'ensuivent ensuite toutes mes coordonnées)
Date de réception du livre (ici vers le10 novembre)
Nom, prénom, téléphone, mail de l'acheteur et sa signature + paiement en chèque ou en espèces.
Et enfin une phrase pour terminer le bulletin: Je m'engage par la présente souscription à fournir l'exemplaire du roman Civilisation perdue dès réception de celui-ci prévue entre le 5 novembre et le 15 novembre.
Signature.

Ensuite, j'ai donné un bulletin à la personne qui a dûment rempli, signé et payé puis j'en ai conservé un exemplaire.
Bilan des commandes :
-les proches (amis et famille) : une vingtaine de personnes.
-les personnes du village où j'habite : une vingtaine
-les collègues : une dizaine
- les libraires, les documentalistes, les bibliothécaires (que je connais bien : je suis prof de lettres) : tous réunis, une quinzaine.
Au total, je suis assurée d'en écouler un peu plus de soixante.
Ensuite, j'ai passé commande chez Lulu (l'auteur les achète moins cher que celui qui vient commander spontanément sur le site) ; ça y est, j'ai reçu hier la notice d'expédition.
Il m'en reste quarante sur les bras en prévision de :
- deux lectures- signatures prévues par un libraire et par la municipalité où j'habite.
- les élèves qui me connaissent et qui demanderont pour certains à leurs parents d'acheter le livre
- des cadeaux
- le bouche à oreille
- quelques envois aux éditeurs.
Avec tout ça, je table sur une prévision de vingt/vingt cinq ouvrages supplémentaires écoulés.
Et le reste sera distillé lentement (par exemple, quand je serai invitée ici ou là, je prendrai soin d'emporter deux exemplaires avec moi et quelques bulletins : au lieu d'annoncer sans preuve "je suis écrivain", j'aurai de quoi étayer mon affirmation sur le champ).
Je ferai un bilan de cette expérience d'ici un mois.
En attendant, j'espère que Pomméliane ou d'autres encore trouveront dans ce billet la précision qui leur manquait. N'hésitez pas à me poser des questions et bon courage à tous.

jeudi 30 octobre 2008

L'expérience manuscrits, Léo Scheer : bilan personnel.

Comme vient de le faire remarquer Manuel Montero, j'ai demandé à Léo Scheer de retirer mes manuscrits de son site. Je m'en expliquerai. Mais d'abord, pour que les internautes qui passent par là comprennent de quoi il s'agit, en voici deux mots : Léo Scheer est éditeur ; il permet aux écrivains qui le souhaitent de placer librement sur son site un manuscrit qui sera mis en ligne, téléchargeable, et exposé aux critiques des lecteurs dans une page de commentaires qui leur est destinée. Le manuscrit n'est pas corrigé ni sélectionné par l'éditeur (il est bon de le préciser).
J'ai mis en ligne deux nouvelles et un roman sur ce site : quel en est le bilan ?
1) un bilan statistique :
-ma première nouvelle "L'éditeur et le Néant" a eu beaucoup de succès : entre les lecteurs en ligne et les téléchargements : pratiquement 400 personnes. 21 commentaires dans l'ensemble assez élogieux.
-deuxième nouvelle : "L'échange" : téléchargements + lecteurs en ligne=240 personnes. 7 commentaires plutôt favorables (sauf 1 : celui de Dahlia)
-troisième mise en ligne : roman L'âge de déraison : téléchargements + lectures en lignes = 130 ; encouragements de Manuel Montero (merci) qui me lit avec autant de plaisir que Dahlia (sauf qu'elle est davantage pressentie pour une publication que moi : j'espère que seule la qualité de son travail en serait la raison)
A la lecture de ce bilan, il ressort que le nombre de lecteurs décroît au fil des mises en ligne. Par contre le nombre d'écrivains croît exponentiellement puisque aucune pré-sélection n'est mise en place. Les lecteurs n'ont pas le temps de prendre connaissance de toutes les nouvelles livraisons (dix manuscrits hebdomadaires). La visibilité des écrivains est de moins en moins réelle.
2) aspects positifs
-d'abord, on met le pied dans une maison d'édition et on peut très facilement communiquer avec l'équipe (elle est agréable et compétente). Monsieur Scheer est bienveillant et ouvert. Je le respecte beaucoup.
- un site de maison d'édition, ça fait sérieux : on vous lira (au total avec mes trois mises en ligne : 800 lecteurs ou visiteurs). Le nombre est là.
-On se sent exister un peu : on sort de son cercle fermé, restreint à quelques proches pour s'exposer. Les critiques, les commentaires, les éloges : ça fait du bien. Même la méchanceté, de temps en temps, ça fait du bien.
-C'est une excellente façon de voir comment votre livre est perçu (les gens qui fréquentent ce site sont eux-mêmes des lecteurs assidus, des écrivains, des blogueurs...)
-Si la maison d'édition "craque" sur votre livre, elle peut même le rétropublier; cela a déjà été fait pour Barberine qui a écrit Rater mieux (le choix est indiscutablement bon)
3) aspects négatifs
- Cette expérience sans être inutile, n'a presque aucun effet sur la notoriété de l'écrivain: moi, j'ai eu des lecteurs, pas mal de commentaires et aucune maison d'édition n'est venue me voir. Il faut avant tout prendre cette possibilité comme une tentative expérimentale et ne rien espérer d'autre. Quand on va sur ce site, on est la plupart du temps considéré comme "en devenir"et pas comme un écrivain abouti. Il y aurait quand même quelques rares exceptions (apparemment cinq personnes auraient trouvé un éditeur, mais je ne sais pas qui et pour quel livre)
- L'accès gratuit devient dérangeant à force : on travaille, on s'expose, on amène du monde sur le site hébergeur et en retour, rien. A la longue, c'est presque un esclavage volontaire ! Je pensais que les nouvelles rencontrant le plus la faveur du public et de l'éditeur trouveraient un jour une suite dans un ouvrage collectif...mais non !
- On se rend compte au fil du temps que la publication par choix qualitatif est très rare dans une maison d'édition. Peut-être précisément que l'expérience "M@nuscrits" changera les choses, mais hors de ce circuit, on peut observer que les auteurs qui ont eu récemment des parutions dans cette maison, Angie Davis et sa Marilou(Angie Davis d'ailleurs n'hésite pas à donner des conseils pour se fringuer sur le site d'un éditeur !), Serge Safran, Nathalie Reims on tous déjà un pied dans le milieu (Sege Safran est lui-même éditeur)... Ca ne fait pas toujours très sérieux tout ça. C'est vraiment dommage pour Léo Scheer qui par ailleurs est vraiment audacieux et d'une approche très humaine.
- il ne faut pas croire que vous aurez l'avis de l'éditeur du site qui vous héberge (cela manque parfois); ce problème est d'ordre juridique, mais un écrivain a besoin de ce regard des professionnels pour comprendre pourquoi un tel est apprécié tandis que l'autre ne l'est pas.
Conclusion : On n'a pas envie de plonger dans le discours outré de Wrath, mais on finit par se poser les mêmes questions. Rien à reprocher à cette expérience sinon qu'on espère plus qu'elle ne peut donner ; d'ailleurs Léo Scheer maîtrise très bien cette incertitude qui vous tenaille : il n'en dit jamais trop mais il sait à l'avance qui il a envie de publier (et nous, on traîne avec un espoir pathétique). Quand je suis partie de son site, il ne m'a quand même pas retenue mais a été très poli...

mercredi 29 octobre 2008

Civilisation perdue : extrait

Voici l'incipit de mon roman. A partir de cet extrait et d'un ou deux autres qui viendront par la suite, les lecteurs pourront juger eux-mêmes si le roman a une valeur quelconque. Si on l'aime mais qu'on n'a pas le moyen de l'acheter en version papier, on peut le télécharger pour moins de quatre euros ; si on le veut en livre, on peut l'obtenir pour 14,99 euros en le commandant simplement sur Lulu.com (paiement sécurisé) (suivre la rubrique : acheter/rechercher : Reine Bale; produit : livre).

"Chapitre 1 : L'étoile du Singe
Bientôt, il sera temps de mourir. Si je ne me fais pas à cette idée, je devrai alors rejoindre les hommes là-bas qui tentent de survivre comme les chiens dont les meutes grossissent à l'abord de nos villes. Oui, survivre et gagner un sursis ou rester ici seul à lutter contre les éléments, je ne sais pas. Jusqu'à sa façon de mourir, il faut choisir. Jusqu'au bout et sans relâche, on doit protéger une vie qui nous torture.
Y'aura-t-il une distribution de prix pour ceux qui ont supporté sans se plaindre les longs cortèges glacés de leurs angoisses ? Moi, quand je gémis, personne ne m'entend : les vents contraires de la vie m'ont déposé sur cette île et effacé toute trace de ma présence parmi les hommes. Une jungle sauvage m'entoure, affolée par les tempêtes que les dérèglements climatiques ont débridées. Ici, je pourrais tout aussi bien attendre qu'une vague géante m'engloutisse ; d'un coup de vent ou d'un coup de vague, ce serait encore une mort naturelle. Peut-être est-ce plus souhaitable que les barbares du continent civilisé qui dévorent les reliques d'une société à l'agonie. A certains égards, la peur qu'ils m'inspirent me semble un moindre mal à côté de la solitude que j'endure depuis des semaines, depuis des mois. C'est drôle comme on ne perd jamais tout à fait l'espoir d'exister pour autrui même à des milliers de kilomètres de son point d'origine. La sagesse serait de se faire oublier, d'oublier l'importance dérisoire de sa propre vie. Mais ça ne vient pas, ça ne veut pas venir(...) Quelque chose, peut-être ce satané instinct de survie qui sait prendre toutes les formes m'indique clairement que la tâche n'est pas achevée. Encore des comptes à régler avec les hommes et aussi la trace que je leur laisserai.
Cette trace, c'est mon histoire ; après je ne pourrai plus décider de rien.
Je m'appelle Raphaël Soros. Je suis né en 1980, période qui ne connaissait pas encore l'entier désespoir qui est le nôtre maintenant, nous autres hommes vivant en 2017. "

mardi 28 octobre 2008

Civilisation perdue-roman

Quand j'ai commencé ce blog, j'ai posé les bases de ce que j'appelle un projet esthétique. Ce projet se donne pour exigence d'intégrer les mutations du monde contemporain au sein du roman : la conscience individuelle rentre en conflit dialectique avec les données d'une civilisation qui lui donne le droit de s'exprimer en tant qu'individu (comme je le fais ici) mais qui le rend invisible dans son idéologie, une idéologie qui tend à en faire un outil de production et de consommation avant tout. Ce paradoxe est connu ; aujourd'hui, il est criant avec la crise économique.
J'ai achevé sur ce sujet un roman dont le titre est Civilisation perdue ; en voici le synopsis :
2015 : le monde vient de connaître un krach boursier sans précédent. Les états sont en faillite. Raphaël Soros est professeur ; il vient d'être licencié car la République ne peut plus le payer. Désoeuvré, il tente la débrouille : d'abord, il se lance dans le trafic d'eau car l'eau est désormais déclarée "denrée rare" et soumise à rationnement. Il se fera arrêter au titre de "délinquant écologique". Là, commence une descente vers l'enfer...
J'ai commencé ce roman il y a deux ans et demi en me documentant à partir de magazines spécialisés, d'écrits théoriques sur les mécanismes de l'économie mondiale et en me fiant à mon intuition ; j'estime que c'est le roman le plus abouti de mon travail de romancière. Et comme je trouve qu'il serait dommage qu'on ne puisse pas le lire à cause de la difficulté à se faire publier, je le propose en téléchargement ou en livre papier sur le site Lulu.com.(chercher Reine Bale, Civilisation perdue)
Peut-être qu'un éditeur s'intéressera à ce livre, mais d'expérience, je ne me fais plus trop d'illusion. Le monde de l'édition est débordé par des préoccupations sérieuses et parfois très futiles ; or sur un tel sujet, il faudrait être un peu réactif. Plus le temps d'attendre des mois avant une hypothétique réponse alors que sur des thèmes anodins, on trouve des tas de publications.
Dans les jours prochains, je donnerai à lire un ou plusieurs extraits : vous jugerez sur pièce.

jeudi 23 octobre 2008

Ecrivain orphelin cherche paternité éditoriale

Je m'emporte, je me désole, je m'emporte encore et je me désole encore. Ca n'a pas de fin. Je me perds un peu : je fais de l'ironie facile. Je me discrédite. Si je pleurniche, on n'aimera pas, si je souffre en silence, on m'oubliera, si je gueule, on m'évitera. C'est quoi la solution ? Stoïcisme. Ne t'irrite pas contre les choses, elles n'en ont cure (merci Marc-Aurèle). Et la douceur, et la gentillesse...si j'essayais ?
Un gentil éditeur voudrait-il publier une gentille fille ? La prendre un peu sous son aile, lui insuffler l'amour dont elle a besoin, pour qu'en retour la gentille fille de nature loyale le gratifie d'une reconnaissance infaillible. Pourquoi demeurez-vous invisible ? Savez-vous que sans vous un écrivain n'a pas beaucoup de chance d'exister ? Oh oui, je serai sage quand il le faudra et pas sage quand les circonstances l'exigeront. Je le promets.
On dit aussi que vous n'aimez pas bien les blogs et ceux qui les tiennent ; vous n'appréciez pas le court-circuitage, mais appréciez-vous qu'un écrivain se désespère, qu'il tire chaque jour un long soupir sur le tiroir refermé où gît inerte le fruit de sa sueur ? Oh, mon éditeur, sois tendre avec celui que tu dois faire aimer; n'es-tu pas le premier à admirer la créature de mots qui s'anime sous tes yeux ébahis ? Ne sois pas méchant avec celui qui croit à son pouvoir. Il faut croire à son pouvoir. Ce n'est pas de l'arrogance, c'est la nécessité d'être qui s'impose. Jusqu'au ridicule peut-être. Pauvre clown qui s'attriste. Maigre masque de candeur. La nudité d'une solitude en pleine lumière : recouvre le corps taché des spots blafards. Mon ami l'éditeur, ne me laisse pas livrée aux regards impudiques qui me font venir à toi ; fais un pas, tends la main.
C'est le mot de la fin.

mercredi 22 octobre 2008

Réseaux, relations etc... -épisode 4-

Mon sang ne fait qu'un tour ; un caillot doit en obstruer le passage. Il s'épaissit comme une pâte dentifrice pas rebouchée. La fougue liquide qui innervait les vaisseaux mollit, ralentie par les mois d'attente stérile.
"Il te faut un réseau, des relations ; il te faut Paris. Monte à l'assaut de la capitale !" me suggère mon ami René, écrivain de longue date publié de longue date dans la même maison d'édition qui fait aussi date. "Je te recommanderai auprès de mon éditeur. Avec ce que t'écris ma belle, y'a pas de raison !" Et vas-y que je t'envoie le manuscrit avec lettre de recommandation, vas-y que je prends des nouvelles de la créature d'encre de temps en temps, histoire de vérifier qu'on s'occupe bien d'elle, qu'on lui donne à bouffer, qu'on la regarde un peu comme ça, parfois avant de dormir... Même le René il en perd son latin : la créature écrite est délaissée, en train de pourrir sur un coin de table, tout juste si on lui fait risette une fois la semaine. Elle crève la pauvre ; et celle qui l'a enfantée se tord de douleur. Ca se traite pas comme ça une mère ; dans ma culture méditerranéenne, c'est quelqu'un la mère. Y'en a même qui pèteraient la gueule à ceux qui respectent pas une mère. Est-ce bien des hommes ceux qui traitent le petit et la mère comme ça ? René, il était désolé pour moi : "Tu sais, j'ai commencé y'a vingt cinq ans. C'était facile en ce temps-là. Aujourd'hui, je ne suis même pas certain, si je déposais mon manuscrit pour la première fois qu' un éditeur en voudrait" .
Me voilà pleinement rassurée ; René n'est donc potentiellement pas publié si on actualise un peu les choses. Comme il est gentil René de vouloir prendre à lui un peu de mon désarroi.

mardi 21 octobre 2008

Amélie, aie pitié de moi. épisode 3

Jusqu'à quand ma fierté elle devrait s'en prendre plein la gueule ? Je ne suis pas assez tapageuse, c'est vrai. Peut-être que je ferais bien de lui faire une danse du ventre à l'éditeur ? Qu'en pensez-vous ? C'est comme ça qu'on s'y prend ? Non, il faudrait du talent à ce qu'il parait, juste le talent ; comme Amélie Nothomb : bourrée de talent, un livre par an, des livres qui ont du sens, du travail, de la densité, de la puissance ! Ah c'est donc ça ! C'est pas la jalousie de Christine Angot, c'est juste l'immense talent d'Amélie Nothomb. Incline-toi. Tu n'es qu'une fourmi parmi ces géantes, ces mastodontes de la littérature. Moi avec mes histoires qui font trop réfléchir, ça le fait pas. Ne pense plus. Arrête ! Sois un léopard, toutes griffes dehors !
Depuis un an je me dis "passe à la vitesse supérieure". Mes amis aussi. Y'en a pas un pour me dire que je ferais mieux d'aller planter des tomates. Non, ils m'encouragent les salauds ! Ils prétendent qu'ils aiment mon écriture, que ça a du sens. Eux aussi, ils participent à la conspiration du Néant à leur manière : je ne fais que les décevoir à longueur de temps.
"Alors les réponses des éditeurs ça donne quoi ?" m'a demandé l'autre jour la tendre Laetitia, ma copine qui lit cinq livres par semaine. Elle est formidable dans son genre ; elle a même organisé une lecture de mon roman chez elle. C'est pas de l'amitié ça ? Et moi, qu'est-ce que je lui donne en retour ? Des refus, des lettres sans âme, les certificats de son erreur de jugement. Maintenant, quand elle me présente à quelqu'un, elle prend des précautions gentilles comme tout : "voilà Reine qui est écrivain et bientôt éditée". Ma mignonne, ce que tu t'goures fillette fillette.
Ainsi, je suis devenue l'écrivain de ma bourgade le plus célèbre, sans avoir rien publié. Si je sortais un livre, les quatre mille âmes de mon village iraient se le procurer, comme ça, par amitié. Ca me fait chaud au coeur d'imaginer Dédé revenant de son marché avec ses poireaux et mon bouquin dans son panier ; et puis ma tendre Laetitia qui organiserait tous les cafés littéraires du monde en me présentant comme un grand écrivain, et puis Claudie qui a suivi mon travail depuis le premier jour...

dimanche 19 octobre 2008

La conspiration du Néant -autofiction blogstory-feuilleton 2

Ecrivain, écrit-vain, ça fait dix ans que je raconte ça à tout le monde. La honte ! Pas une publication papier avec mes deux romans et mes nouvelles ! Rien ! Autant dire que je n'existe pas. Je suis nulle. Tout le monde est plus beau, plus fort, plus intelligent que moi. Même Christine Angot, elle est plus belle que moi, c'est dire ! Et pourtant, je fais de belles lettres de présentation avec un synopsis qui accompagne le manuscrit et "bonne lecture" à la fin. Depuis quelque temps, je me suis à mise aussi à coller une petite photo sur la lettre ; on ne sait jamais, je peux peut-être tomber sur un éditeur sensible à mon charme, même si je ne suis pas aussi bandante que Christine Angot. Mais rien. La petite brune sur la photo, elle n'est pas assez jolie.
J'ai ouvert la lettre ; je ne me rappelais même plus que je lui avais envoyé un manuscrit à celui-là tellement ça date. Il disait être content de la confiance que je lui témoignais et affirmait deux lignes plus loin être désolé de ne pouvoir donner suite à ma demande. Ca m'a rappelé étrangement les messages sur mise en attente des services administratifs. "La Maif vous remercie de votre appel mais ne peut donner y suite : le standard est encombré. Merci de rappeler ultérieurement." Ca me glace le sang cette froideur, cette politesse bureaucratique. Donc vraiment on n'a pas deux minutes à m'accorder ? Même avec tous mes atouts ? C'est qu'on est jaloux de moi. Ah, je vois ! C'est ça... de la jalousie. Je suis une rivale potentielle ; dans une maison d'édition, je foutrais le bordel. Les nanas viendraient me crêper le chignon ; aucune bien sûr ne me trouverait du talent. Au moins, si j'étais comme Christine Angot, personne ne m'envierait. C'est peut-être pour ça qu'elle arrive encore à nous faire croire à l'impossible : l'impossible lui est arrivé.

samedi 18 octobre 2008

Auto-fiction blog story

Etoffons le concept de "blog-story" un instant ; est-ce que l'auto-fiction qu'on dit épuisée sur support papier peut trouver une nouvelle direction sur le blog ? Avec cette quasi-quotidienneté de l'écriture, on peut même se demander si l'auto-fiction n'est pas le propre du blog ; l'exhibition est -pour ma part- un art plus visuel -(et donc plus propice à l'écran)- qu'intellectuel.
Voici donc le premier volet de cette auto-fiction (où il va de soi que par une sorte de règle obligée on fait toujours le beau et le malheureux, ce qui revient exactement au même).

"Je m'appelle Reine. Tu parles ! Reine de quoi ? Reine sans sceptre, reine sans royaume si ce n'est celui de son domaine presque vide peuplé de sujets boîteux, belîtres insoumis à son orgueil et ne pousuivant qu'un objectif : qu'enfin la reine accepte son inutilité au monde, pire encore, l'évidente ineptie de son existence et qu'elle en crève, comme on éclaterait avec plaisir, -juste pour le bruit rigolo que ça fait- les petites poches de plastique à bulles. Le Néant conspire sec contre moi. En voici les preuves tangibles. Et pour bien faire, pour n'écarter aucune preuve, je noterai chaque jour ce qui me semble relever de cette ténébreuse affaire.
Aujourd'hui, comme tous les jours, je me suis rendue à la boîte aux lettres. Fixée au grand chêne qui surplombe le chemin, je l'observe qui se remplit quotidiennement de prospectus, de factures, mais hélas, jamais du courrier que j'attends depuis des lustres. Ce matin n'a pas dérogé à la règle : quand j'ai pris la lettre qui m'était destinée au milieu de ce tas de n'importe quoi, de ces "Centre Leclerc", de ces "Carrefours je positive", de ces "Auchan la vie moins chère", j'ai senti mon coeur palpiter plus vite que la normale. C'est drôle cette propension depuis quelque temps que mon coeur a de s'emballler pour un oui ou pour un non ; je suis préparée pourtant à l'échec, je devine résignée qu'avec le tampon de la maison d'édition qui se trouve côté face de l'enveloppe, il y aura toute l'inexistence à laquelle je suis consignée. Une nouvelle lettre-type avec ses mots qui ne doivent pas trop blesser ni trop faire espérer : "Votre manuscrit ne rentre pas dans le cadre de nos collections" Dix fois, vingt fois lus ces mots-là, ces maux-là. Pourquoi mon livre ne rentre-t-il pas dans le cadre de leurs collections ?Pas foutue de le savoir et eux de l'autre côté de l'enveloppe pas foutus de me l'expliquer. Dix fois vingt fois...et toujours pas moyen de tuer l'espoir. L'espoir, il va me tuer à force de ne pas vouloir mourir. N'espère donc rien , petite idiote ! Vas-tu cesser de croire ! Cesse-donc !

jeudi 16 octobre 2008

Matériel /immatériel

Une mort dans l'âme, ma première blogstory est achevée ; j'ai essayé d'y montrer la part de solitude et de renoncement qu'il y a dans toute vie, y compris quand on se trouve derrière son écran à tenter d'exister pour les autres que ce soit pour les torpiller (c'est encore un moyen d'être au monde) ou pour les aimer sous-couvert de mots bien pesés.
Le relation "virtuelle" ne fait qu'entériner la part d'invisible, de sous-entendus, d'énigme qui traversent tout rapport humain.
Aujourd'hui, du fait d'une délicate attention, j'ai reçu la version papier du roman Rater mieux de Barberine (éditions Léo Scheer) , et voilà que se télescopent des réflexions sur ma blogstory et le devenir de ce m@nuscrit. L'intérêt réside dans le fait que la trajectoire de l'héroïne du livre épouse le destin du livre même : bloquée dans une existence "blanche", la narratrice se cherche une identité, une place dans le monde tout comme son livre passé d'un support virtuel à une trace matérielle. Cette coïncidence forme une cohérence qui fait exister simultanément l'héroïne, le livre et son auteur. Pour Xavier, mon personnage, j'ai songé à un destin similaire : le symbole "matérialisé"de l'ordinateur brisé à la fin lui octroie la possibilité de s'arroger la place qu'il s'est désignée dans ce monde.

mercredi 15 octobre 2008

Fin -Une mort dans l'âme

L'infirmière conduisit Xavier au chevet de son ami, avec l'air grave de circonstance qui laissait deviner que la fin approchait. C'était maintenant un homme en morceaux : son corps décharné jusqu'à l'os, sa peau fripée, l'oeil chassieux et la respiration suffoquée donnaient à Xavier le spectacle le plus tragique qu'il lui fut donné de voir. Sa compagne n'était pas encore là ; elle allait arriver avait-elle prévenu. Patrick implorait Xavier de son regard : pouvait-il le sauver ? avait-il l'air de lui demander. Non, il fallait non seulement qu'il meure mais aussi qu'il se retrouve complètement seul face à la plus douloureuse des épreuves. Xavier eut du mal à contenir ses larmes ; Patrick lui fit signe d'avancer en tendant sa pauvre main où saillaient ses veines bleuies de sang séché. "Viens" fit-il fébrilement en reprenant à grand peine sa respiration. Il serra la main de Xavier de toutes ses forces.
"Il faut que tu vives maintenant...que tu vives. Ne diffère plus". Ce furent les derniers mots que Patrick prononça avant de fermer les yeux et de plonger dans sa nuit. C'était fini : Patrick venait de sombrer dans un coma duquel il ne revint plus. Le surlendemain, il était mort.
Après son enterrement, Xavier songea aux mots de son ami. Ca lui parut comme une énigme au départ, une énigme profonde émise par un ami qui avait déjà un pied dans l'au-delà. Puis l'envie de reprendre sa routine le rebuta ; il n'en pouvait plus.
"Vivre !" se répétait-il...vivre enfin ! "D'un coup les dernières paroles de Patrick s'étaient injectées dans ses réflexions ! Oui, il avait des désirs, oui, il n'avait qu'une vie : c'était bien ça ! Le monde virtuel ne lui donnerait jamais tout le charnu d'une bouche de femme, les lycées ne lui apporteraient jamais la part de rêve à laquelle tout un chacun aspire ! Ses désirs, quand il les faisait défiler sous ses paupières mi-closes, c'étaient des livres qu'il écrivait, des rencontres à l'autre bout du monde...Et pourquoi pas lui ? Pourquoi ? D'un coup, le principe de réalité lui parut trop faible, trop mesquin... Il envoya valdinguer ses cours, ses copies. Il se tourna vers son ordinateur et pris d'une rage euphorique, il le saisit et le laissa tomber sur le sol. Il en observait les morceaux épars et sourit : il commençait à être libre.

lundi 13 octobre 2008

feilleton- épisode 7 "Une mort dans l'âme"

Patrick...le vieil ami...pas vu depuis l'enterrement de sa mère...un cancer !
"Je me suis senti fatigué ces derniers temps...pourtant tout va pour le mieux dans ma vie en ce moment ! Avec Nora, on file parfait amour, la passion, quoi !Tu sais quoi, j'avais même envie de lui faire un petit ! Tu parles avec ce qu'ils m'ont trouvé ! Le pancréas est bien amoché... on va faire des rayons,de la chimio...enfin tout le merdier, quoi. Ce qu'il y a, c'est que les médecins ne sont pas clairs avec moi : ils me disent qu'on va tout essayer mais qu'il y a une part d'incertitude dans l'issue du traitement. C'est quoi la part d'incertitude ? dix, vingt pour cent ? Je flippe."
Ah les mois passés à accompagner quelqu'un dans la descente, c'est indescriptible : Xavier avait vite compris que son ami n'allait pas faire long feu. Le maigrissement était spectaculaire : le corps peu à peu se vidait à coups de chimio. Un jour, il avait tellement dégueulé qu'on aurait dit qu'il allait y laisser un boyau. Nora, sa nouvelle compagne chialait tout le temps ; elle avait rencontré Patrick huit mois plus tôt et voilà que la passion, réduite à l'état convulsif des tripes de Patrick, lui filait entre les doigts ! Xavier ne vit plus durant cette période que des longs couloirs sans espoir : le blanc couloir de l'hôpital, l'antichambre de la mort, le gris glycéro du couloir du lycée qui le conduisait vers l'ennui, les couloirs anonymes des mondes virtuels, et le couloir incolore de sa propre vie. Etait-ce ça être un homme ? Supporter le fardeau de son impuissance sans se plaindre ?
Patrick un jour fut pris de râles énormes; les médecins décidèrent d'en passer aux soins palliatifs pour alléger la souffrance. Désormais, son état oscillait entre une semi conscience lucide et des épisodes délirants. Il réclama de voir Xavier.

dimanche 12 octobre 2008

Feuilleton- épisode 6

Quand Xavier rouvrit pour la première fois son ordinateur, il ne retrouva pas la même joie de la polémique qu'auparavant. Il laissait ses commentaires sans trop y croire ; les batailles d'ego d'où surgissaient les meilleurs tours de son esprit, lui semblèrent vaines. Et puis fait exprès ?- Anaïs avait disparu ; si bien que même le lien ténu qui le rattachait à une communauté -certes invisible- d'hommes, s'effilochait. Son ex-femme, qui avait senti ô combien ce deuil lui était douloureux, lui accordait plus souvent la garde de leur petite fille qui avait sept ans, Lilas. Un jour qu'il la sortit au parc, elle refusa de s'amuser au toboggan, se détourna de la balançoire et vint étrangement s'asseoir sur le banc à côté de son père :
- Tu ne t'amuses pas ?
- J'ai pas trop envie. Pourquoi t'as l'air triste ? C'est la mort de Mamie ?
- J'ai l'air triste ? -Oui fit-elle en hochant la tête...Oui, ça doit être Mamie. Ce n'est pas très facile de perdre sa mère.
- Pourquoi t'es toujours tout seul ?
- Tu tinquiètes pour moi...c'est gentil. Mais ça va, j'ai un travail, des amis, je t'ai toi !"
Sa propre petite fille qui s'inquiétait pour lui ! Il en aurait pleuré d'émotion si elle n'avait été pas là à scruter son regard de sa douceur enfantine. Et puis, la vérité derrière ses mots : même sa fille voyait en lui un homme pathétique, sans envergure, sans relief, un terrain de vie plat. Rien qui relevait la sauce fade de son quotidien : pas de femme, un métier qui l'usait, une mère à tout jamais absente. Sa ex-épouse l'avait prévenue : "si tu n'agis pas en permanence sur la vie, elle finira par te retirer le peu que tu as. A la fin, tu te retrouveras dans l'océan sans canot de sauvetage."
Le mois qui suivit fut pénible : il venait d'apprendre que son meilleur ami, Patrick était atteint d'un cancer.

vendredi 10 octobre 2008

L'âge de déraison... en ligne.

Petite interruption de la nouvelle Une mort dans l'âme pour annoncer la mise en ligne de L'âge de déraison, mon premier roman. Il se situe dans la rubrique "Manuscrits" des éditions Léo Scheer que je remercie au passage. Ainsi donc, les flâneurs qui viennent tantôt visiter ce blog, pourront avoir à lire l'intégralité du récit écrit il y a quelques années.
Une mort dans l'âme reprendra demain.

mercredi 8 octobre 2008

Mère morte-épisode 6

C'était son frère, Yves. D'emblée, il reconnut dans son inflexion de voix la gravité propre aux instants dramatiques de l'existence. Il comprit instantanément qu'il s'agissait de leur mère, qui trois mois plus tôt avait dû subir une opération à coeur ouvert pour une valve qui ne renvoyait plus le sang. Les sanglots dans la bouche laissaient mal sortir les mots qui s'enroulaient dans une annonce confuse, désordonnée. Il appelait depuis l'hôpital, ils n'avaient rien pu faire malgré l'acharnement à la réanimer ; c'était fini, tout était fini. Et le monde avec lui : Xavier soudainement plongé dans l'effroi d'une mort inconcevable, peinait à tenir le combiné. Sans s'écrouler pourtant, il demeurait dans l'hébétude d'une situation qui ne rencontrait pas de langage. Sa mère était un fondement de sa vie ; stable, tranquille, sans heurts et présente, discrètement présente, elle avait été l'aiguillon de sa force, la consolation de ses faiblesses. Et maintenant, sans elle, il perdait le lien le plus essentiel à la matrice de la vie, de sa vie.
Il gagna l'hôpital au plus vite. Recroquevillée dans un lit trop grand pour elle, morte sans avoir eu le temps de faire ses adieux, elle semblait dans cet espace sans âme, au milieu des appareillages que les infirmières débranchaient désormais dans un silence contrit mais professionnel, une femme mort-né, démunie comme au premier jour de la vie. Xavier éclata en sanglots.
Les jours qui suivirent furent pénibles, surtout la veillée du corps qui avait duré trois jours. Dans son for intérieur, il eût préféré un enterrement rapide pour que la torture de la voir physiquement dans cet état figé, sans expression, sans parole fût abrégée. Alors qu'il était tenté de lui parler et d'attendre sa réponse, il se maintenait illusoirement dans l'espoir qu'elle pouvait revivre. La douleur ne s'en fit que plus grande.
Un mois durant, il ne remit pas les pieds au lycée ; les copies lui semblaient un tracas bien léger à côté de l'épaisseur lourde de la mort. Ce fut presque avec soulagement qu'il regagna le monde des vivants : la turbulence des lycéens ravivait son goût presque enfoui pour la vie, la jeunesse et son travail. Il s'attela avec énergie à réinvestir son métier auquel il trouva au moins la vertu de le sortir de son atonie.

mardi 7 octobre 2008

Le vice ou la vertu ? Volet 5

Petit rappel pour ceux qui prennent "le train en marche" : depuis le jeudi 2 octobre, j'écris une "blog-story" concept dont j'ai inventé le nom pour désigner une nouvelle-feuilleton : la nouvelle se consruit au jour le jour pour ce blog. Pour en trouver la trame, remonter à mercredi premier octobre.

"Anaïs..."susurra-t-il dans un léger murmure qui s'effaçait devant les astreintes auxquelles il dut consentir : l'après-midi coulait et les trente-cinq copies demeuraient intactes, telles qu'elles avaient été disposées une semaine plus tôt sur ce même bureau. Dans l'affrontement imaginaire que se livraient les deux domaines de sa vie,- la réalité de son travail, de sa solitude affective et l'autre, la virtuelle peuplée de mots et de présence féminine- ressortait fatalement un vainqueur et un vaincu : pourquoi fallait-il que la réalité épousât si mal ses rêveries ? S'il admettait de subir un sort qui le rebutait, en serait-il récompensé dans sa vie terrestre ? Oh, il savait bien que non. Comble du malheur, la dissertation portait sur le rapport que le roman de Maupassant Une vie entretenait avec le réel. Et il savait que cette reine de vertu qu'était Jeanne n'avait jamais gagné quoique ce soit dans son chemin de croix comme tant de pauvres femmes à cette époque. Au moins, la Juliette de Sade sur ce chapitre semblait plus cohérente et sonnait comme un cri face à l'injustice d'un Dieu qui, s'il existait, répartissait si mal les joies terrestres.
"Une vie christique sans résurrection à la clé"se désola Xavier en se saisissant du paquet qu'il maudissait. "Peut-être un jour me déciderais-je à tomber dans le vice, de la façon la plus radicale, la plus délicieuse et desespérée qui soit" s'amusa-t-il enfin à se dire sans trop y croire.
Ce fut tard dans la nuit qu'il acheva son labeur ; il s'apprêtait à ouvrir son ordinateur quand il reçut un appel.

lundi 6 octobre 2008

Volet 4 -Une mort dans l'âme

Ils avaient, lui et ses compagnons virtuels, un terrain de prédilection : celui de la critique féroce des romans d'écrivains installés. Par exemple, quand Marianne Rageot publiait un nouveau roman, racontant encore une fois ses amours en prétextant faire une oeuvre de fiction, les blogueurs, Xavier dit "plume de feu", "Anaïs", "Hermès" et bien d'autres encore, se ruaient sur la duplicité de l'entreprise, sa vocation commerciale et son ineptie littéraire. C'avait été d'ailleurs l'occasion pour "Plume de feu" de se rapprocher insensiblement d' "Anaïs" qui avait su lui donner le change :
"-Plume de feu: Tiens ! V'là la déjection annuelle de Rageot ! C'est fou d'observer comment certains auteurs viennent régler leurs problèmes de constipation dans des objets qu'abusivement on appelle livres ! Et si on servait de son bouquin dans un usage authentique !
-"Anaïs"- C'est un peu cher le papier-cul, ne croyez-vous pas mon cher "plume de feu" ? Je ne sais pas si elle a vidé ses intestins, mais moi, je n'ai vraiment pas envie d'en chier pour lire ce bouquin.
-"Plume de feu" : Voilà qui ne peut être mieux dit, et je reconnais là votre style sans concession, tendre Anaïs."
Ainsi donc, "Plume de feu" et "Anaïs" entretenaient depuis quelque temps, par blogs interposés, la plus complice des relations. Quand "Plume de feu" redevenait Xavier, le prof de banlieue aux corrections interminables, l'envie d'une autre vie partagée avec Anaïs l'emmenait sur une terre fantasmée faite de connivences, de rencontres littéraires envoûtantes, d'éclats de rires enclenchés par un regard, un seul. Mais à quoi ressemblait-elle ? Et son âge ? Peut-être était-elle âgée ? Mariée avec des enfants ? Comment enfin basculer de la question à la certitude, du virtuel au réel ? Les flèches empoisonnées qu'ils aimaient envoyer dans la page "commentaires" de présentations d'auteurs dans les blogs, leur interdisaient, en quelque sorte de verser dans le registre sentimental. Xavier vivait ainsi son activité de "critique" selon deux modes : l'excitation jouissive et la frustration de ne pas être au-delà de l'écran la personne qu'il affichait avec hargne.

samedi 4 octobre 2008

Une mort dans l'âme -3-

Bien sûr, il fustigeait en bon professeur de la République la façon dont les jeunes générations s'immergeaient dans ces univers parallèles, mais curieusement, il n'y voyait aucune contradiction avec sa propre situation. En adulte responsable qui n'avait grandi qu'avec des livres et si peu de télé, il estimait, à l'inverse de ses élèves, qu'il n'encourait pas le moindre risque de confusion entre sa vie "réelle" et son identité virtuelle. "Plume de feu" sévissait depuis six mois sur tous les fronts : blogs, forums de discussion, sites officiels des journaux pour y commenter l'actualité. Son cheval de bataille : tordre le cou à la parole officielle et bien pensante dont la source identifiée, l'intelligentsia parisienne ne faisait qu'à longueur de lignes défendre ses propres intérêts. La littérature contemporaine : un doux mirage fait de compromissions économiques et médiatiques ; l'art contemporain : une série de gadgets sans plus de valeur que des sex toys ; la politique : le règne sans partage du cynisme ; la télé : le temple érigé au Néant et ainsi de suite. La démocratie et rien de moins se trouvait confisquée par le pouvoir de quelques médiocres prétendument têtes pensantes de la nation. Ainsi, Xavier armé de sa seule Vérité, s'incarnait en nouveau prophète, à la différence près qu'il n'en prenait pas le ton "donneur de leçon" qui donne envie de fuir plutôt que d'écouter. Non, le professeur savait que les élèves préfèrent, à la bienveillance moralisatrice la pique bien lancée, "coeur de cible".
Ce procédé lui avait permis de ne pas passer inaperçu au sein de la "communauté" virtuelle : il y avait même ses rivaux personnels et des complicités profondes qui jouaient aux lancers de mots comme d'autres, plus jeunes et plus innocents, jouent à massacrer un maximum de bonhommes en un rien de temps dans les jeux vidéo.

vendredi 3 octobre 2008

une mort dans l'âme -suite.

C'est après son divorce qu'il avait commencé à naviguer sur le net, au départ pour tuer la solitude et l'ennui. Oh ! Il avait bien tenté de s'inscrire sur des sites de rencontres, au moins pour renouer avec la séduction. Mais à quarante deux ans, l'enthousiasme n'est plus si frais, le visage moins sémillant, les rencontres peu excitantes. Des divorcées, la plupart du temps, comme lui avec des enfants et des vies laminées par les déceptions qui au fil des conversations se déversaient comme la neige des montagnes dans les torrents, puis dans les rivières, charriant à grande eau les chagrins. Finalement, ces histoires racontaient toujours la même chose : que ce soit un mari infidèle, un homme trop pantouflard ou le désir qui s'étiole, il y avait un mensonge fondamental. Mais Xavier ne sentait pas la force de démentir le mensonge, lui qui venait d'endurer la douloureuse épreuve d'être traité de menteur par son ex-épouse. Valérie lui avait dit, avant de le quitter, que leur vie tournait en rond, qu'elle ne se voyait pas finir dans l'appartement de leur petite banlieue avec un mari qui regimbait sur son travail à longueur de temps, tout ça parce qu'il avait manqué d'ambition. Ils avaient fait un enfant et elle ne souhaitait pas en faire un deuxième pour régler leurs problèmes de couple. D'après elle, il aurait pu essayer de faire une thèse et enseigner à la fac, tout comme elle qui avait réussi à obtenir un poste d'assistante. Là-bas, à l'université, elle avait rencontré des tas de gens intéressants et lui, au milieu, ressortait de plus en plus comme une tâche grise. "La vie avec toi n'est pas aussi brillante que je pensais ; tu m'as -disons-le- trompée sur la marchandise, peut-être parce qu'avec moi tu n'es pas assez heureux". Se préoccupait-elle vraiment de son bonheur ? Bien sûr, non. Mais au fond, peut-être avait-elle raison : à part sa petite fille et d'heureux moments avec sa femme, il n'avait pas su jouir, insolemment et sans vergogne des quelques opportunités que la vie lui avaient offertes. Et maintenant, il se rattrapait. Le soir, muni d'un simple clavier, d'un écran d'ordinateur, il s'en donnait à coeur joie. Un pseudonyme : "Plume de feu", quelques mots bien sentis tirés à boulets rouges et voilà à nouveau la passion qui incendiait ses nerfs.

jeudi 2 octobre 2008

Une mort dans l'âme

[Début]. (voir trame dans le billet d'hier)

"Xavier, assis à son bureau, méditait sur l'éternel recommencement, l'entêtement de la vie à prendre toujours le même chemin, l'ennuyeuse litanie de la redite qui accompagnait ses gestes et ses pensées. Combien de fois n'avait-il pas déjà éprouvé cette lassitude ? Combien de fois ne s'était-il pas fait la réflexion que son travail ou le vide, c'était du pareil au même ? Une sorte d'équivalence pouvait s'établir entre son agitation sociale et une forme de néant: "c'est ça un prof : un brillant comédien qui est tout le temps en répétition en attendant une reconnaissance qui ne viendra jamais" se dit-il désabusé. "Plaisir de la transmission, relations humaines et sensibles et tout ce baratin très "correct"...mon cul ouais ! Un prof, ça tacheronne et le reste du temps, ça ronchonne ! Voilà, on est dans le vrai !".
La pile de copies narguait Xavier qui, en pivotant sur sa chaise, cherchait à lui échapper. C'était mercredi après-midi et jeudi, avait-il promis à ses élèves, il leur rendrait les devoirs dûment corrigés, abondamment annotés. Trente cinq dissertations de lycéens, pas moins. Trente-cinq copies d'au moins quatre pages chacune, soit par un rapide calcul mental trois cent cinquante minutes à raison de dix minutes par devoir. Pas loin de six heures de travail devant lui. Mais ce n'étaient pas n'importe quelles heures que la sale besogne lui enlevait ; des heures "à lui, pour lui", des heures précieuses où il pouvait enfin devenir ce qu'il était : une plume acerbe, aiguisée et respectée. Un fleuron du fleuret mouchetant la crème de la médiocrité avec quelques acolytes anonymes mais complices : des blogueurs très en verve qui se donnaient le mot, à la nuit tombée, pour dire leurs quatre vérités à tous les indigents de la pensée qui n'avaient pas eu le bon goût du bon mot. Plus largement, ils remplissaient les pages de commentaires mises à leur disposition sur les blogs, et démocratiquement, ils déposaient le jugement qu'ils avaient sur tout.

mercredi 1 octobre 2008

Une mort dans l'âme.

Je n'oublie pas que ce blog a pour vocation de proposer une réflexion sur la création mais aussi de donner à la création elle-même, un cheminement. C'est pourquoi, je vais tenter au jour le jour, comme un feuilleton, d'écrire une nouvelle dont le seul support sera ce medium. Le but est de faire se télescoper les impératifs de la création qui ne répondent pas toujours -et loin s'en faut- à l'acte quotidien de l'écriture. Aussi, certains jours, je reviendrais peut-être sur ce que j'ai écrit la veille et de fil en aiguille, une forme sortira d'une gangue.
D'abord quelques mots avant de démarrer : une nouvelle, parce que sa trame est resserrée, exige encore bien plus qu'un roman de savoir où elle va. Je me rappelle avoir, au tout début de la création de ce blog, exposé les fondements de mon projet esthétique : à savoir qu'un récit doit au minimum être l'aboutissement d'une sorte d'"étude"(philosophique, sociologique, politique...) qu'il met en "oeuvre", en situation (pour reprendre une terminologie bien connue). Donc voici les observations d'où je pars : le monde virtuel, pour beaucoup, est une seconde vie, une vie sans surmoi. Des adolescents rencontrés m'ont dit "on est quelqu'un d'autre de plus libre", ou encore "on rentre chez nous, on oublie le lycée, on se glisse dans la peau d'un personnage et puis c'est plus facile de séduire(...)". Les adolescents révèlent plus facilement que les adultes leur plaisir à décrocher de la contrainte sociale par ce biais. Pourtant, le divorce "aidant", la vie n'ayant pas tenu toutes ses promesses, les adultes aussi se prennent à rêver devant leur ordinateur, même si au bout, il n'y a rien : l'écran ramène à l'écran et l'infinité apparente des possibles qu'il semble prodiguer n'est en réalité qu'une infinité de néants.
Le personnage : c'est un homme divorcé, professeur de lettres qui, dans son cadre professionnel est le premier à réprouver chez ses élèves le basculement dans le virtuel, mais qui une fois passé le pas de la porte, retourne à sa solitude et à son ordinateur pour devenir membre d'une communauté de blogueurs où il intervient sous plusieurs pseudonymes au titre de "plume vindicative et acérée". Il se donne ainsi l'impression qu'il vaut plus que sa profession. Simplement, la solitude est têtue. Les seuls évènements qui le sortent de l'ordinaire sont la mort de sa mère et le cancer de son ami.Avant de mourir, son ami lui donnera le précieux conseil de "donner corps à sa vie"avant que la vie reprenne son corps. Titre "une mort dans l'âme"
La trame est simple, mais j'espère significative.
Demain, l'incipit...

lundi 29 septembre 2008

Pour finir sur cette question

C'est un véritable enjeu pour un écrivain d'être lu, et c'est de toute façon assez difficile qu'il soit publié ou non par une maison d'édition. Dans le fond, le contexte actuel n'y change pas grand chose: un écrivain a toujours dû faire preuve de ténacité pour obtenir cette reconnaissance tellement briguée. C'est lui et toujours lui qui tient sa propre légitimité à exister comme il s'est défini. Ce n'est pas la maison d'édition qui fait l'écrivain ; en enfonçant cette porte ouverte, on s'ouvre aussi la possibilité mentale de s'autonomiser par rapport à cette question. L'écrivain doit créer sans s'interroger sur le devenir de sa création ; s'il est édité rapidement, tant mieux pour lui. S'il ne l'est pas, il ne doit pas agréger toute son activité à cette question. J'en sais quelque chose...
Bien sûr, il y a le découragement, bien sûr, il y a le doute sur le contenu même de ce qui est écrit : c'est une voie un peu sacerdotale parfois. Et l'envie de renverser la vapeur : après tout ne serait-il pas plus normal que les éditeurs cherchent un peu pour nous trouver ? Nous entretenons trop leur autorité en leur présentant sans qu'ils le demandent (et sans qu'ils le désirent parfois) le fruit de notre travail. On les blase, on les ennuie ; ils deviennent de vieux rois fatigués et capricieux, qui au fond d'eux méprisent les doléances de leurs sujets. Ils savent ce pouvoir qu'ils ont sur nous,même s'il les dégoûte. Ca fait partie de sale boulot que de dire "non". Et il y a toujours un sale boulot, y compris dans les métiers les plus nobles : un prof qui met un zéro, un médecin qui vous annonce le pire, un fleuriste chargé de décorer la tombe d'un proche. La basse besogne en un mot. Les éditeurs, eux, ne sont pas bien fiers des lettres type qu'ils envoient, mais le nombre, le nombre...un vrai peuple d'insectes ces écrivains ! Ils sortent de partout comme les cafards le long des tuyaux souterrains. L'insecticide pour les écrivains, c'est la lettre-type. Avec ça, y'en a pléthore qui vont se retourner sur leurs carapaces, les pattes en avant, à brasser du vent jusqu'à l'agonie. Ca gueule un coup contre notre boulot, mais ils rêvent que d'une chose ces prétentieux d'écrivains, c'est de pavaner dans nos bureaux à lancer moitié-des gentillesses, moitié-des-mots-d'esprit à celui qui les fait vivre, exister, "mon éditeur" comme ils disent -et il faut bien appuyer sur le possessif, car c'est des relations privilégiées, pas de la vassalité ! Ah ce tact avec lequel je ne lui montre jamais ô combien il dépend de moi.




dimanche 28 septembre 2008

Quelques paradoxes éloquents.

Dernière tournée dans Les correspondances de Manosque. Une conférence que je ne veux pas rater portant sur les difficultés de l'édition. Je suis au plus haut point intéressée par ce débat car moi-même, je me demande depuis quelque temps quelle est la manière la plus favorable d'être lue. Aucune solution en fait n'est simple. Voici ce qu'en disent les éditeurs eux-mêmes.
D'abord, les problèmes économiques qu'ils rencontrent sont réels ; ils tiennent bon, mais les grands groupes sont là, menaçants de puissance et pleins du désir de les "avaler". Les librairies, les supermarchés ne donnent de visibilité qu'aux livres dont le succès est prévisible. La critique joue encore son rôle de prescripteur mais les lecteurs n'écoutent plus : la masse des écrits complexifie les choses : qu'acheter, que lire ?
Et les écrivains dans tout ça ? Soit ils bénéficieront d'une couverture médiatique -auquel cas ils peuvent prétendre à un petit succès -, sinon -comme c'est la plupart du temps le cas-, les oubliettes...
Néanmoins, les éditeurs conservent des poches d'optimisme quelque soient les dangers ; et le nouveau danger s'appelle Internet.
Quand, timidement et peut-être maladroitement, j'ai suggéré que du point de vue de l'écrivain, ça pouvait constituer un bon outil pour y exposer sa création, ils m'ont tous répondu d'une même voix que la maison d'édition constituait le passage obligé pour obtenir une reconnaissance. Il est normal qu'ils prêchent pour leur paroisse, mais tout de même, un paradoxe me frappe : d'un côté, ils souhaitent qu'on leur envoie des manuscrits pour être les seuls à décider de la publication de tel ou tel, de l'autre, c'est tout juste s' ils répondent quand on leur en envoie. Ensuite, les enjeux pour l'écrivain et pour l'éditeur ne sont pas nécessairement les mêmes : un écrivain sait bien qu'il ne peut pas faire fortune avec ses livres (sauf rares exceptions). Le plus souvent, il écrit pour être lu et pas pour des raisons économiques. Alors, pourquoi le net ne serait-il pas aussi un bon moyen pour lui d'être lu ? Au moins partiellement...Par touches, par extraits...et plus si affinités.
Personnellement, je ne pense pas que les deux approches soient contradictoires. Après tout, la reconnaissance est parfois si longue à obtenir que l'envie de court-circuiter les maisons d'édition se fait naturellement sentir ; il nous vient comme l'envie de croire qu'on peut y arriver tout seul. Et peut-être que cette histoire de "label" indépendant n'est qu'une illusion suplémentaire ; alors, si tel est le cas, venez à moi, maisons d'édition, détrompez-moi de votre cohérence...

vendredi 26 septembre 2008

L'écrivain ; un homme de service public.

Dans mon billet d'hier, j'évoquais la façon dont les gens envisageaient et fréquentaient les manifestations littéraires. Aujourd'hui, je voudrais ramener ces remarques à la réflexion qui m'occupe depuis le début de la création de ce blog : si l'écrivain a modifié son rapport au public, son travail s'en ressent-il ? Les enjeux de son écriture ne s'en voient-ils pas eux aussi changés ?
L'écrivain est devenu cet être consensuel, charmant, abordable. De l'artiste à son art, il n'y a qu'un pas : son oeuvre, il la veut pleine de son humaine tendresse dont le monde manque tant. Il n'a pas l'intention de mettre la pagaille, de foutre le bordel, de s'attirer la haine. Qui viendrait communier avec lui dans sa tournée de communication s'il se montrait odieux ? Non, il doit satisfaire à la demande des comités de lecture, des manifestations littéraires dont chaque ville se revendique. Il est à son stand, fidèle au poste et tel le fonctionnaire consciencieux, il signe ses dédicaces comme le guichetier applique son timbre à date sur l'enveloppe. C'est le service au public, le service après-vente de la littérature, pour paraphraser une célèbre émission de télé. Quant au débat de fond, on peut toujours se cogner. La polémique est rare. Le public réclame la "sensibilité" de l'artiste et non ce qui justifie sa présence, c'est à dire le regard acéré qu'il porte sur un monde, qui profus de complexité, fait peur. Et si l'écrivain lui-même, en réduisant l'espace qui le sépare de ses lecteurs, finissait comme eux par se gargariser du spectacle qu'il leur offre ? En les côtoyant si régulièrement ne se prive-t-il pas de la liberté de tenir des propos subversifs qui pourraient leur déplaire ?
Mais peut-être l'écrivain n'est-il que le maillon plus large d'un système économique (distribution, maison d'édition, imprimerie) qui est extrêmement difficile à intégrer et probablement fou de dénigrer quand il y est parvenu. D'ailleurs, une fois publié, il lui faut songer à se vendre pour que toute la filière derrière lui s'y retrouve. Mais pour que la littérature se recentre sur ses enjeux, ne faut-il pas réfléchir d'ores et déjà à modifier ce système ?
Une idée, que j'essaierai de mettre en application rapidement : l'écrivain présente son livre, en donne quelques extraits emblématiques et lance une souscription : que toute personne qui désire son livre, paie le papier, l'encre et la reliure. Ainsi, l'écrivain ne perd et ne gagne rien ; quant au lecteur, s'il n'aime pas le livre, il n'aura déboursé que le prix du papier et de l'encre. Et pourquoi ne pas commencer entre nous ?

jeudi 25 septembre 2008

Le charme très discret de la province...

Les Correspondances à Manosque : c'est l'évènement culturel de l'année qui fait sortir la ville de sa léthargie. En cinq jours défilent des dizaines d'auteurs qui viennent déclamer sur la place leur prose faisant entendre, au milieu des curieux, "l'ineffable musique de leurs textes". On en entend des mots à cette occasion ! Jusqu'à s'en étourdir, jusqu'au moment où on n'entend plus rien... Mais sevrés d'animation culturelle tout le reste de l'année, les manosquins se pressent là, au milieu des platanes et des pastis pour prendre leur dose de "littérature" et repartir contents d'avoir capté quelques fragrances mystiques de création. Surtout, c'est l'écrivain qu'on veut voir, approcher et pourquoi pas, sentir. Il se prête volontiers d'ailleurs au goût curieux qu'ont les gens de l'interroger sur des détails : "écrivez-vous avec votre sergent major ou directement sur ordinateur ?" et l'artiste, dans son auguste patience de répondre, comme s'il livrait la clé fondamentale qui ouvre à son imaginaire : "je remplis des pages de brouillons avec mon bon vieux stylo à plume avant que de tâter du traitement de textes" ; l'expression "tâter du traitement de textes" ne manque pas d'amuser les plus fins, les plus spirituels de cette assemblée, dont et d'après mon sondage, la majorité n'a pas ouvert une page d'un de ses livres. Non, on vient regarder, et surtout, on vient vivre un "grand moment de culture" pour affirmer son appartenance à "ce grand tout culturel" qui fait la différence sociologique entre ceux qui en sont et ceux qui n'en sont pas. Le spectacle culturel comme le nec plus ultra de la consommation.
Mais de cynisme, point trop. Il fut donné à entendre de vrais bons musiciens avec un vrai bon texte, et le charme opéra. C'était Yann Aperri , et celui-là ne se contente pas de blablater : il chante et finalement c'est beaucoup mieux pour entendre "la musique des mots".

Enfin donc, pour être lu, faut-il être de toutes ces manifestations ? Ecrivain la nuit, communiquant le jour ? C'est une question tout de même...

mardi 23 septembre 2008

Peur de répondre à ça ?

Hypothèse de frilosité -suite-.
Mon roman Une moitié d'homme, qualifié de "fort" par une maison d'édition, n'a pas persuadé cette dernière de le publier ; serait-ce pour ça?
"Mes parents quoique de condition sociale simple s'"ambitionnaient" à travers moi, mon frère et ma soeur ; les Algériens qui avaient grandi dans le même immeuble de notre sinistre banlieue, éprouvaient trop de ressentiment envers la France pour nourrir un quelconque espoir de réussite ; et le racisme se confondant en lutte sociale à cette époque, le succès des uns vivant pourtant dans les mêmes conditions rencontrant l'insuccès des autres, transforma les "frères ennemis" en ennemis tout court. De fil en aiguille, les chiens de faillence laissèrent place aux pitbulls (...)"
ou encore pour ça ? :
"C'était le temps des gentilles prêches de SOS racisme et du petit badge en forme de main "touche pas à mon pote". J'en avais acheté un au marché de la ville un mercredi matin. Je l'avais choisi jaune, clin d'oeil de l'Histoire. Mais pour mes les copains arabes, c'était vraiment le moyen d'acquérir une dignité tout en continuant à détester copieusement la France qui ne "cessait de les humilier". Mais du jour où leur statut de victime est tombé, notamment avec la poussée de l'extrême droite, ils ont eu la très mauvaise idée de s'en prendre à la minorité qui leur renvoyait une image inversée, les Juifs. Les Palestiniens leur venaient en aide, donnant à l'artefact de leur rébellion contre les "sionistes" un tour sincère. Encore un tour de piste aussi pour les media et les politiciens, qui incapables de remédier à la violence des banlieues et en prenant parti d'abord pour la cause palestinienne, ont fait absorber le problème par la minorité la moins représentative démographiquement.
Solution de facilité, solution de cynisme dans un pays où les arabes sont dix fois plus nombreux que les juifs. Et c'est ainsi, que mon enfant de dix ans, mon petit Raphaël s'est vu traiter de "sale juif" et même "que Hitler, il a pas fini le travail".
Un matin, la directrice de l'école m'appelle(...)"

lundi 22 septembre 2008

Des questions qui dérangent en littérature

Pour rebondir sur la question laissée en suspens hier, j'ai choisi aujourd'hui de livrer un extrait d'Une moitié d'homme, et précisément un extrait susceptible d'effaroucher les maisons d'édition, les petites comme les grandes :
[situation : Benjamin revient sur ce qui l'a conduit à quitter son pays d'origine, la France, pour aller s'installer en Israël. C'est une période difficile pour les Juifs de France : des actes antisémites sont régulièrement perpétrés par des musulmans s'identifiant aux Palestiniens. Voici ce que Benjamin pense de l'attitude de la France et plus généralement des Occidentaux pendant cette période]
"Il faut donc remonter à septembre 2000, période marquée par les prémisses de la seconde intifada. Pour les gens de ma génération, ce fut un choc. Non pas d'entendre les querelles partisanes beugler plus haut qu'avant, mais d'assister pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale au retour de violences contre des juifs parce qu'ils étaient juifs : un homme portant une kippa se vit passer à tabac, une école juive pour enfants de maternelle fut incendiée à Marseille. Devant mon écran de télé, ma tête chauffait à gros bouillons. Le mot"juif" me rendait nerveux : j'appréhendais le moment où il allait être prononcé par le présentateur télé soit pour annoncer les chiffres de la boucherie du jour dans un attentat suicide en Israël, soit pour "évoquer les actes de minoritaires contre la communauté israélite dans les banlieues". Ici ou là-bas, il faisait mauvais être juif. Où se planquer en ce bas monde ? A affaire planétaire, pogrom planétaire ? Quelque instinct m'indiquait -qu'au-delà des efforts accomplis pour "raison garder" à propos de ces "petits débordements"-, qu'Israël parce que c'est un pays de Juifs allait devenir le problème existentiel du monde monothéiste."
Question : est-ce le genre de passage anxiogène qu'une maison d'édition redoute de publier ? Manque de distance ? Pusillanimité ? Allons, ô Maisons ! Encore un effort s'il vous plait ! Même en ces temps difficiles, la renommée peut surgir du courage !

dimanche 21 septembre 2008

Peut-on parler des sujets qui fachent ?

La semaine "no comment" est passée, juste le temps d'installer quelques idées et de préciser ma démarche. Merci à ceux qui passent par là d'apporter une touche de réflexion à ce que peuvent être les enjeux de la littérature contemporaine en évitant les jugements à l'emporte-pièce.
Voici d'ailleurs une interrogation toute personnelle par rapport à ces enjeux.
Il y a quelque temps, j'ai envoyé à quelques maisons d'édition un manuscrit portant le titre Une moitié d'homme. Deux maisons ont répondu assez gentiment dont les Editions du Rocher m'indiquant que "le manuscrit comporte de vraies qualités". Ca fait toujours du bien et ça encourage même si le manuscrit lui-même n'est toujours pas édité. (mais peut-être le sera-t-il bientôt...). D'autres l'ont lu, dont un ami édité depuis longtemps dans la même prestigieuse maison : il l'a recommandé auprès de l'éditeur mais m'a avertie du "caractère un peu sulfureux et pas très consensuel du sujet" et du fait que "ça pouvait refroidir".
Il m' a toujours paru pourtant évident (et peut-être naïvement) que la littérature formait un espace à secouer les tabous. Mais pour que vous puissiez vous rendre compte par vous-même, je vous livre tout de suite le synopsis d'Une moitié d'homme :
Benjamin Kahn a, comme certains de ses corréligionnaires français, émigré en Israël durant la période très sensible de la seconde intifada ; il l'a fait autant pour des raisons personnelles qu'idéologiques. Mais aussitôt arrivé sur la terre promise, il saute sur une bombe et fait un séjour prolongé chez les grands brûlés à l'hôpital Hadassah de Jérusalem. Gravement mutilé, il n'a guère d'autre option que de méditer sur sa vie et sa condition d'homme juif en France. L'ennui, le vide spirituel, la médiocrité de la société de consommation lui ont fait faire le choix radical d'intégrer un mouvement politique prônant le "grand Israël" depuis la France ; mais Benjamin ne soupçonnait pas que là-bas, en Israël, les bombes ne transportent pas que des mots.
Donc, ce roman aborde un thème délicat : le conflit israëlo-palestinien et la réaction identitaire qu'il a engendrée. J'ai voulu aussi répondre à la question : qu'est-ce qu'être juif aujourd'hui en France d'abord, en Israël ensuite ?
Ce sujet peut-il faire peur à une maison d'édition ? Je n'ose le croire.
La réflexion politique dans la littérature est-elle possible ou bien n'admettrons-nous comme réflexion politique que les goguenardises à l'endroit de Sarkozy et sa femme auxquelles se sont livrées les plus brillantes plumes ?
Je n'ai pas la réponse mais je m'interroge un peu quand même.

samedi 20 septembre 2008

de la nécessité d'être lue.

Je sens bien le paradoxe qu'il y a à désirer être lue et à ne pas laisser les commentaires s'afficher, même s'il est possible dorénavant de m'envoyer un mail. Certains préfèrent les humiliations publiques et ne pas s'attaquer à des gens trop installés (ça demanderait trop de courage alors que l'écrivain non encore publié constitue une cible bien plus facile). Je sais aussi qu'à partir du moment où l'on déclare ne pas être publié, on est perçu comme un faiblard de la littérature ; la caution de la maison d'édition semble plus que jamais nécessaire pour prétendre au droit de créer. Sous prétexte de parole démocratique, certains s'emportent dans une sorte de darwinisme du jugement, l'opinion souveraine (et souvent sybilline) de la maison d'édition s'en faisant le support, malgré elle. Consciente de cet écueil, la maison Léo Scheer a adopté une politique intéressante à l'égard de ces voix nouvelles qui émergent chaque jour : la mise en ligne des manuscrits des auteurs qui présentent leurs textes sans filet, sans relecture ni correction, sans a priori ni positif ni négatif.
En ce qui me concerne, j'ai fait la démarche d'envoyer deux de mes nouvelles "l'Echange" et "L'éditeur et le néant" qui sont aisément consultables et pemettront à ceux qui me font l'honneur d'ouvrir ce blog de temps à autre, de prendre connaissance in extenso de quelques échantillons de mon travail.
Un mot sur ces nouvelles : L'éditeur et le néant a été conçu quasiment pour figurer dans les pages du site qui l'héberge. Il s'agissait d'utiliser cette entrée pour réfléchir, au sein même de la maison d'édition, une image de ce que l'on se figure de la maison d'édition, de ses pratiques, de son éthique. Je suis partie bien sûr de mes propres fantasmes, mais surtout de mon expérience et de l'expérience de tant de gens qui n'aspirent qu'à la reconnaissance. La vengeance de l'héroïne contre l'éditeur est pensée comme un acte cathartique. Il y est donné à voir le désir de mort que tout un chacun projette sur l'autorité accréditée à nous donner de la reconnaissance mais qui s'y refuse.
L'autre nouvelle, L'échange est plus volontiers légère, mais reprend quand même une thématique contemporaine : la pornographie. Qu'en faire dans la littérature ? La laisser au bord du chemin dans sa froide technicité ? ou bien l'introduire dans un apprentissage, dans une connaissance de soi ? Plutôt que de la cantonner au rebut, on pourrait se demander ce qui peut se jouer là-dedans...

jeudi 18 septembre 2008

Proposition ouverte pour un mouvement

Tout personne désireuse de m'envoyer un mail peut enfin le faire, simplement. Il suffit de cliquer sur "afficher mon profil complet" puis sur "contact e-mail". Si certains des textes ou des interventions me semblent pertinentes, je ferai bien sûr au préalable une demande d'autorisation à la personne concernée avant que de les publier sur ce blog.
Pour revenir à l'idée d'un mouvement de littérature dite de facture classique contemporaine lancée hier sur cette page, j'avance quelques pistes :

1) que la forme ne découle pas d'un tour de force esthétique "à la manière de" telle ou telle écriture dite contemporaine.
2) que l'écriture ne se contente pas de décrire un état du monde : une analyse nourrie de tous les champs de connaissance doit précéder l'acte créatif. (anthropologie, psychologie, histoire, témoignages). Il faut savoir où l'on va quand on prend sa plume.
3) que l'intime -comme forme de discours- n'oblitère pas le monde extérieur : on essaie toujours de relier le privé à la marche de la société.
4) les personnages doivent vivre des expériences emblématiques de leur société.
En France, à l'heure actuelle, un écrivain comme Michel Houellebecq répond tout à fait à ce que la littérature peut incarner dans une époque comme la nôtre. Ce qui est intéressant dans son travail, c'est que les connaissances scientifiques (clonage, informatique), une observation sociologique (le tourisme de masse, les sectes) investissent la fiction ; du coup, l'expérience de tel ou tel personnage prend une dimension réflexive ; et en se renvoyant à nous, le réel pourtant opaque dans sa configuration initiale, est re-défini par le regard acéré de l'auteur qui en permet une lecture, une approche à la fois intellectuelle et sensible (la mise en forme).

mercredi 17 septembre 2008

De la voix narrative

Pour ma part, un des enjeux de la littérature contemporaine est de transcrire l'éclatement du monde contemporain. Par éclatement, j'entends la définition multiple, décentrée qu'un individu se donne de lui-même et l'impossibilité absolue d'observer le monde à travers le prisme unique de ses valeurs. De nombreux auteurs ont apporté des traductions esthétiques à cette complexité soit en multipliant les voix narratives, soit en superposant dans le discours les différentes strates de la conscience (comme l'oeuvre de Proust). Quand j'écris, je ne peux évidemment pas faire abstraction de toutes ces avancées ; mais le risque serait de s'imposer une trouvaille technique pour "faire du contemporain" : si Céline abonde dans le point de suspension, si Duras fait dans la succession de phrases brèves et elliptiques, dois-je, pour prétendre au titre de "contemporain" déstructurer à mon tour le fil de mon discours ? Je ne pense pas. Et j'irais même jusqu'à réaffirmer le rôle central du narrateur, auquel il faut pas prêter uniquement la fonction de narrer, mais d'analyser "l'éclatement". Voici une de ces tentatives dans un autre passage de L'âge de déraison : (précision : Arielle vient d'apprendre que Daniel, son ancien compagnon vit désormais auprès d'une de ses amies, une féministe ; elle traverse une période de solitude qui ne fera que s'intensifier tout au long du roman) :
"(...) Quand Arielle apprit les prémisses de cette relation, elle écuma de rage. C'est donc ça le post-féminisme ? Des femmes moches en tailleur avec des dents de requin ?
Arielle se retrouva très seule : ses infidélités confirmées par témoignage direct ne furent pas pardonnées. Sans le savoir, elle rendait un petit service à la collectivité, une occasion sans pareil de réfléchir aux affres du couple moderne. Chacun y allait de sa petite morale et finalement le commentaire de l'action fut plus riche que l'action elle-même -car, finalement quoi de plus courant à l'aube du troisième millénaire qu'un couple qui se sépare ?
Il semblerait pourtant que les déflagrations psychologiques émettent quelques réticences à être minimisées. Le drame privé ! Sans lui, la plate routine d'une vie régulée par le travail et l'argent. Et l'épanouissement personnel dans tout ça ? D'après le Marie-Claire qu'Arielle avait eu entre les mains dans la salle d'attente du dentiste, il passe par une vie amoureuse et sexuelle réussie. Pas question donc de transiger là-dessus ! Le mari bande-mou, dehors ! Les seins flasques de la cinquentenaire, exit ! Au pieu comme à l'entreprise ! Du chiffre avant tout !(...)"

Le narrateur a, au départ de ce passage, une position classique : il raconte "elle écuma de rage" ; puis il laisse la colère du personnage éclater en italiques avant que de s'approprier cette expérience isolée, singulière pour en tirer une observation sur les moeurs modernes. Mais le discours du narrateur est corroboré par une lecture de Marie-Claire rapportée par Arielle ; une ambiguïté de la voix narrative s'installe donc pour laisser place finalement à la seule voix du narrateur qui ironise sur la notion de performance dans la vie privée. Le narrateur relaye donc la conscience de l'héroïne en la suivant dans son sillage, mais surtout en extrapolant son expérience à celle de la société.
Il y a une posture "classique" dans cette façon de faire (classique au sens des moralistes du XVIIème siècle, dans le fait de tirer de l'intrigue particulière les lois universelles qui gouvernent les hommes), mais je la revendique pleinement ; disons que j'aimerais bien incarner, si cette école ou ce mouvement existait, le classicisme contemporain.

mardi 16 septembre 2008

Enjeux esthétiques et logiques de la suite del'incipit.

Après la page de journal intime qui forme l'incipit et dont la vocation est de permettre au lecteur de surprendre in medias res (au milieu des choses) l'héroïne en extase, deux possibilités ensuite s'offrent au créateur : soit il poursuit dans cette veine où la jouissance de l'intime s'auto-génère, soit il se demande au contraire comment positionner son personnage dans un espace critique qui conduit son image idéale du moi vers l'aporie. Pour ma part, j'ai choisi l'obstacle pour l'héroïne plutôt que la veine intimiste ; à cela deux raisons : l'une est d'ordre esthétique, l'autre est d'ordre logique. D'abord si je continue avec ce "je", à aucun moment une autre voix ne pourra se faire entendre : le rythme risque d'être monotone, l'atmosphère étouffante, et l'oeuvre nombriliste par absence de recul vis à vis de ce "je". Il m'est souvent arrivé de lire des oeuvres qui ne parviennent pas à sortir de cette ornière dans la littérature contemporaine française. Dans la logique de la narration, en employant continuellement "je", on risque d'épouser le point de vue du personnage et donc de priver le narrateur d'une lucidité dont précisément manque le personnage puisqu'il ne voit que lui. Or, si l'on veut que l'oeuvre ouvre sa focale sur le monde, il va falloir trouver le mode narratif le plus approprié à la fois pour rendre compte de l'intériorité du personnage et de ce qui l'entoure.
J'ai opté, donc, pour continuer l'incipit la narration omnisciente avec une grosse fréquence de point de vue interne :
"En relisant ces quelques lignes écrites dans son journal quelques mois auparavant, Arielle put vérifier une fois de plus que ni ses trente ans d'âge, ni la vie de couple n'avaient pu porter l'amour qu'elle vouait à un homme devant la griserie d'un plaisir solitaire. Il fallait peut-être y voir un problème physique, une difficulté concrète à obtenir une jouissance aussi intense seule qu'avec un homme. L'hypothèse lui semblait valable mais insuffisante : une défaillance si courante chez les femmes pouvait laisser supposer que l'orgasme n'était rien d'autre qu'un paroxysme d'excitation, qu'un mot enflé pour une réalité souvent moins éclatante. Pour elle, le sexe avec un homme ne pouvait être sur le plan des sensations physiques qu'un complet ratage ou une semi-réussite ; l'orgasme ? "un mensonge qu'on aime bien se raconter". L'illusion de part et d'autre était donc intégrale. Une mystification totale. Toutes ces salades sexuelles finissaient par l'énerver et invariablement, elle en revenait à ses habitudes de petite branleuse.
Arielle avait-elle pour autant renoncé à l'amour ? Non, car elle n'était pas femme à faire un choix aussi radical."